Vous sui chérissez la mémoire
De ces bons Rois dont quelque jour
On s'attend. bien qu'à votre tour
Vous saurez accroître l'histoire.
Seigneur, en offrant à vos yeux
L'utile et terrible spectacle
Du vice puni par les cieux,
Pour vous le rendre encore plus odieux,
Il n'est pas besoin de Miracle.
Un roi d’Asie, ou plutôt un tyran,
(Car qui dit roi dit père,
Et celui-ci ne l’était guère,
De ses sujets s’entend,)
Dominé par son avarice,
Il les écorchait tout vivants.
Sous cet Harpagon des sultans,
Le brigandage et l’injustice,
Les impôt les plus accablants.
Et par dessus tout les traitants
Dont il se rendait le complice,
Désolaient son pays épuisé d’habitants.
Partout où règnent les tyrans
Il faut que l’Etat dépérisse.
Enfin, pour terminer le cours
Des maux dont ses sujets gémissent en silence,
De cet indigne roi, donné dans sa vengeance,
Le ciel daigne- abréger les jours.
D’un mal affreux le monarque coupable,
Tout-à-coup se trouve attaqué ;
Et le secours de l’art ayant manqué,
Il implore le ciel : mais le ciel implacable,
Du sceau de la mort l’a marqué.
Dans ses états, vivait un solitaire,
Dervis de son métier, personnage fameux,
A qui l’opinion vulgaire
Attribuait le don miraculeux
De soulager les maux de l’humaine misère,
Par l’infaillible entremise des cieux.
Le roi le fait chercher : le méchant d’ordinaire
Est faible et superstitieux.
Le dervis comparaît, et sans lever le yeux,
Devant le roi mourant garde un silence austère.
Hélas ! lui disait-il, mon père,
Dépêchez-vous, faites votre oraison :
Oui, c’est en vous seul que j’espère,
Obtenez-moi ma guéris on.
Faut-il à Dieu de l’or pour ma rançon ?
On va vous en donner tout-à-l ’heure à foison.
L’or doit sans doute apaiser sa colère;
Remplissez-en vos poches sans façon.
De l’argent qu’aussitôt à ses pieds on entasse,
Le dervis, se baissant, ramasse
Un écu d’or, qu’aux yeux du moribond, il rompt,
Et soudain, ô prodige !
De cet or, prompt à s’amollir,
Le tyran voit du sang à gros bouillons jaillir.
Le sien à cet aspect dans ses veines se fige:
Que vois-je ! quels objets !
Quel sang coule à mes yeux? — Celui de tes sujets,
Lui répond le dervis, d’une voix enrayante.
Pour apaiser le Dieu qui t’épouvante,
Voilà ce que ta main présente !
Frémis, malheureux roi !
Cette offrande de sang va retomber sur toi.
À ces mots foudroyants, le dervis se retire,
Le courtisan pâlit, et le monarque expire.