Jupiter et le Buveur Henry Macqueron (1851 - 1888)

Telle chose est fort bonne en soi,
Dont l'abus seul est condamnable.
Ainsi jugea des dieux l’arbitre roi ;
La sentence est donc respectable.

Certain suppôt de cabaret
A Jupin fit jadis une requête.
Le vin, d’après notre homme, est indiscret ;
Il ne respecte aucun secret ;
Méchamment il trouble la tète ;
Il pousse et la discorde, et, de plus, ce sournois
Par sa feinte douceur traîtreusement amorce
Les pauvres gens pour détraquer leur force.
« Justice ! ô roi des dieux. Tu vois
Qu’il faut au jus vermeil, pour le bien de la Terre,
Oter ce qui nous nuit, laisser ce qui nous plait.
— Le vin, dit Jupiter, est trés bien comme il est.
Mais l'usage en est bon, l’abus malsain, compère.
Bois-le modérément, il double ta vigueur;
Il te dispose au bien en égayant ton cœur ;
Il enlumine ta misère.
La faute n’est donc pas au vin, mais au Buveur,
La justice, dis-tu ? Tu l'auras, et peu lente
A punir comme il faut ta requéte insolente.
Or donc, à l'avenir, stupide accusateur,
Bacchus calomnié marquera sur ta trogne,
En bourgeons cramoisis, un stigmate d’ivrogne. »

Fable 22




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