Jupiter et le Poète Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Jupiter un jour se courrouça ;
Les dieux, selon le bon Homère,
Etaient sujets à la colère.
Voici comment l'affaire se passa.
Du maître de l'humaine engeance,
Certain rimeur, dont j'ignore le nom ,
Avait parlé d'un certain ton
Qui visait à l'irrévérence.
Cela s'appelle une licence
Chez les favoris d'Apollon.
Cours à l'Etna, Vulcain; rassemble
Les foudres destinés aux fameux scélérats;
Du plus brûlant de tous je veux armer mon bras.
Unis-les plutôt tous ensemble.
v Ainsi parla le souverain des dieux.
Vulcain obéit; le ciel tremble :
L'air, embrasé de mille feux,
Répand dans tous les cœurs l'horreur et l'épouvante ;
Sur son double Pivot, la terre chancelante
Menace de rentrer au chaos ténébreux.
Que fait le Poète en ce désordre affreux?
Il dort! il dort ! et l'horrible tempête,
Qui gronde sur sa tête,
N'éternise pas son sommeil.
Non , ses sens vont jouir d'un paisible réveil.
En voulant l'écraser, Jupiter lui fait grâce :
Tant de foudres unis embarrassent ses mains.
L'effort, mal balancé, rend les coups incertains.
Maint arbre est abattu , maint rocher hors de place,
Dont le Dieu n'avait pas résolu la disgrâce:
Le souverain des immortels
Epuisa ses carreaux sur ses propres autels.
Que la colère est maladroite !
Elle va se blesser de son propre aiguillon.
Si le Dieu n'eût pris qu'un bâton ,
J'aurais plaint le pauvre Poète.

Fable 23




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