L'Art de se corriger Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Messieurs les Arts vous me ferez crédit :
Je vous dois plus que je ne saurais dire,
Puisque c'est vous qui m'avez érudit,
Puisque , sans vous, je n'aurais pas su lire
Dans ce beau livre ou tout se trouve écrit y
Dont le soleil dore la reliure,
Que l'on appelle , en un mot, la nature.
Que si jamais ce siècle m'applaudit,
Si je parviens à la race future .
Le front orné par un brin de verdure,
Je prétends bien qu'à toujours il soit dit
Que je lâchais la bride à mon esprit ;
Quand j'aperçus qu'une règle sévère ,
Associant l'aisance avec l'effort,
Vous dirigeait en vous laissant l'essor ,
Traçait les plans, donnait le caractère,
Et ne laissait rien à régler au sort.
Ah ! si j'avois le pouvoir d'une fée,
Ce bois longuet dont tout charme jaillit ,
Que vous auriez un superbe trophée !
Mais à trop peu mon pouvoir se réduit.
Je sais sentir, louer , et tout est dit.
Que si j'étais le soutien d'un empire ,
Pour qu'à l'emploi mon talent pût suffire,
Assurément vous seriez mes conseils ;
Et qui pourrait m'en offrir de pareils ?
Tout sujet fait pour rendre un grand service,,
Jamais chez vous n'est mis en sacrifice :
Les autres, nés pour de petits objets,
Sont éclairés par de simples reflets.
Quand, autre part, fort souvent on amène
Les repoussoirs au milieu de la scène,
Ou tout alors nous paraît discordant,
Votre art discret les enchaîne en avant,
Sur les côtés : l'action dégagée
Par eux , alors sans trouble est protégée.
Serait-ce donc un si mince talent,
Pour être prêt à tout, quoi qu'il arrive,
Que d'avoir bien creusé la perspective ?
Je dirais plus ; mais on est excédent,
Quand on dit tout. Une fable m'appelle ;
Je vois d'ici venir une hirondelle ;
Margot la pie , en manteau noir et blanc
Prenant le ton affectueux et franc,
Tout en sautant , s'entretient avec elle.
Dans le début, l'une fait ses adieux.
« L'automne vient ; il est temps que j'attelle
Pour me soustraire à des temps rigoureux. »
L'autre répond : « Partez, mademoiselle ;
Je voudrais bien vous suivre en ces climats,
Oit vous allez éviter les frimas ;
Mais, par la loi qui domine ici bas,
Je suis contrainte à rester casanière
Parmi des gens que je n'estime pas.
Je crois qu'ailleurs on ne trouverait pas
D'êtres manques plus ample pépinière,
L'oison pesant, imbécile, idiot,
Et le canard plus méchant et plus sot,
Le moineau vain, insolent, téméraire,
Familier, autant qu'il est corsaire j
Et le dindon , ô le plat animal !
Le beau présent que nous fit l'amiral
Qui l'amena des plages Inconnues.
Il est au moins aussi sot que les grues,
Bien plus méchant, quoiqu'il s'en cache bien ;
Mais, pour mal faire, il manque de moyen.
Nous reste après le pinçon, la linotte,
Le chardonnet, même le rossignol ;
Mais chacun d'eux chante sur une note,
Se répétant en bécarre , en bémol ;
Et, quand on a quelque peu de génie,
On souffre bien de leur monotonie.
Comme ils sont tous ennemis du travail
Du jardinier, celui-ci ne s'applique,
Pour, de leurs becs, préserver sa boutique,
Qu'à les chasser par un épouvantail.
Que vous dirai-je ? Il est encor le merle :
Des importuns celui-ci fait la perle;
Malin, escroc , babillard, impudent,
Touchant à tout du bec ou de la dent;
Et le pigeon : le pauvre politique ;
Pour être heureux, il s'est fait domestique ;
Puis, en paiement des sacrifices faits,
Il accompagne au marché les poulets;
Si je voulais , que j'en dirais de belles
Sur les perdrix et sur les tourterelles ! »
Oh ! non , madame ; halte-là ! s'il vous plaît ,
Répond Progné. Dans les lieux que je quitte,
Des habitants de la terre et de l'air,
Je suis contente et ne hais que l'hiver;
A m'envoler lui seul me sollicite.
Sur ce terrain, si je n'ai pas brillé,
Je ne m'en prends qu'à mon peu de mériter
J'aime par trop un destin varié :
On eût bien fait si l'on eût châtié
Mon inconstance et mon peu de conduite.
Je fais un nid, assez bien travaillé,
Dans des endroits qu'il est bon que j'évite ;
Quand , à partir , l'humeur me sollicite ,
Crainte ou penchant, qui sait ce qui m'invite ?
Je hais en moi ce que j'y vois de mal -
Mais, dans autrui, tout me serait égal,
Si son malheur n'en était pas la suite.

Fable 24


Dédiée aux Beaux-Arts. Dédiées aux arts, à proprement parler, pas aux institutions.

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