Jupiter et Mercure Henry Macqueron (1851 - 1888)

« Eh bien, mon bon Mercure, aurais-tu quelque affaire
Ame communiquer? Tu reviens de la Terre.
Parlons un peu des gens qui grouillent là-dessus;
J’y pense volontiers dans mes moments perdus,
— Souverain Jupiter, l'espèce vaine et sotte
Jusqu’au cou dans les maux qui viennent |’assaillir
(N’en trouvant pas assez, elle en forge à plaisir)
Aujourd’hui comme hier affreusement barbote.
L’ensemble est assez laid ; le menu n’est pas beau.
Quelques produits du cru sont couchés sur ma liste.
Voici le citoyen cœur sec, riche, égoïste,
De plus, homme pieux d’un système nouveau.
Quand i! promet un bœuf, il sacrifie un veau.
Par contre, il ne regarde guère
A la longueur de ses prières,
Et nous en donne notre soûl,
Six fois par jour il se bourre la panse,
Et, pour mieux digérer, d’être goinfre il s’absout
A son valet étique en prêchant !’abstinence.
Indulgent pour lui seul, il vit dans la bombance,
Mais qu’un pauvre a son seuil pleure: « J’ai froid, j’ai faim ! »
Il le rebute et dit : « C’est 1a le sort humain;
Il faut bien que chacun se fasse à sa misère.
Mettons-nous à donner à ces gueux-la. Demain
Ils auront plus que nous. Grands dieux ! Que vont-ils faire
De tant d’argent ? Un tas d’excès ! » Enfin, mon père,
Ce dévot racorni, cuirassé de vertus,
A pu se faire un cœur qui ne compatit plus.
Au nom des affligés, je demande vengeance.
— A ce riche mauvais envoyons L'Indigence,
Mon fils ; mais tu souris. Dans ton sac aurais-tu
A décocher, dis-moi, quelque trait plus pointu ?
— Oui, laissez-moi, Seigneur, rendre ici la justice,
Et choisir pour ce drôle un plus piquant supplice.
L'Indigence ne peut que le priver beaucoup ;
C'est trop honnête aussi. Donnons-lui l'Avarice,
Qui le fera manquer de tout. »

Fable 19




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