L'Aigle de Jupiter et Mercure Maximilien Emmanuel-Charles de Malon (18ème siècle)

Le souverain des Dieux chassa son aigle un jour,
Ancien serviteur, comme tous, à deux faces.
On applaudit, on blâma tour-à-tour.
Un autre lui succède. (On est preste à la Cour.)
Là, la bassesse donne à tout le nom de grâces.
Séjour où tant de loups se déchirent entr'eux ;
Où rien n'est vrai, n'est sûr, où tout n'est que grimaces ;
L'impudence y récolte ; On s'y moque des vieux.
Aussi, d'après cela, désirez y des places !
« Mourir n'est rien : C'est le pis que déchoir. »
A dit un illustre poète.
Le mot est juste. Au fond de sa retraite
Notre Aigle, malgré lui, ne laisse que trop voir
Ce qu'il regrette.
En vain il prône aux écoutants
La liberté, l'air pur, et le calme des champs,
Cette douce couleur qu'offre aux yeux la verdure,
Les parfums exaltés, le murmure des eaux,
Quand Zéphyr entouré de mille et mille oiseaux,
Les cheveux ceins de fleurs, vient rendre à la nature
Ses perles, ses saphirs, ses rubis, sa parure.
On n'y croit pas : C'est le refrain
De tout disgracié qui voile son chagrin.
Son âme cependant et mâle et vigoureuse,
Au bout de quelques mois, prit si bien le dessus,
Qu'en songeant à l'Olympe il ne ressentait plus
Une émotion douloureuse.
Mercure certain soir arrive tout-à-coup ;
Non, s'il vous plaît, à pas de loup,
Comme lorsqu'il projette un larcin, ou qu'il tente
De tromper un jaloux. Son entrée en bruyante :
« Roi des oiseaux, dit-il, sortez de ce rocher ;
C'est vous qu'ici je viens chercher :
Jupiter vous rappelle, et je tiens sa Patente. »
(C'est que le successeur était disgracié :
On l'avait trouvé gauche ; Et quoi que digne au reste
De ce haut poste à ses soins confié,
L'air gauche aux yeux des Grands est un tort manifeste
Qui fait qu'avec raison l'on est remercié.)
Est-ce un ordre absolu, lui répond soudain l'Aigle ?
- Non. Jupiter pour toi dérogeant à la règle,
Ne te commande point ; Ainsi tu peux opter,
Ou de me suivre, ou de rester.
- S'il est ainsi, Seigneur, reprendrez votre route
Sans moi ;
J'ai vu de près la foudre, et je sais trop ma foi,
Pour la porter, ce qu'il en coûte :
Toujours au Roi des Dieux également soumis,
J'offrirai mon encens dans ce séjour sauvage...

L'infortune fait plus que les destins amis ;
Ils enivrent, elle rend sage.

Fable 13




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