Un Coq sauvage, en France entré tout récemment,
Un Coq, très-mauvais garnement,
D'un Poulailler était le trouble fête ;
Sur les poules lui seul avait droit de conquète,
Les caressait brutalement,
Les outrageait impunément,
En ceci, comme en tout, n'en faisant qu'à sa tête ;
Lui seul, sans nul ménagement,
Lui seul dévorait la pitance :
Poulets, poules, chapons, voués à l'abstinence,
Ne recevaient de lui que mauvais traitement :
Il punissait sévèrement
Le moindre avis, la moindre remontrance,
Et du mal qu'il faisait n'avait aucun émoi,
Car il n'avait ni foi, ni loi.
Las de sa tyrannie et de tant de souffrance
Le Poulailler du Ciel invoque l'assistance.
Certain Aigle beau, fier, et que l'on dit royal,
À la puissante serre, au cœur noble et loyal,
Et que vit naître au loin la plage hyperborée,
Du Coq, son ennemi convoitant la curée,
Du Poulailler guettait l'entrée ;
Du Poulailler il voit le mécontentement ;
Il s'en approche avec adresse,
Et, prenant fort bien son moment,
Aux mécontents en ces mots il s'adresse :
« Combien à vos malheurs mon âme s'intéresse !
Ah ! que ne puis-je, aux dépens de mes jours,
Mes chers amis, en arrêter le cours !
Trop longtemps, parmi vous, on vit régner la guerre ;
Faites-lui succéder les douceurs de la paix.
Moi, je prends à témoin et le ciel et la terre
Du lien qui m'unit aux poules, aux poulets,
Et veux de ce traité qu'un bienfait soit le gage :
Du vil tyran qui vous outrage,
Plus que vous, je suis l'ennemi ;
Voyez en moi votre meilleur ami,
Qui, seul, peut terminer votre longue misère ;
Et, pour vous assurer combien je suis sincère,
Ouvrez, ouvrez-moi ces barreaux,
Qui, de votre tyran, par malheur, me séparent,
Et vous verrez bientôt la fin de tous vos maux. »
Et la joie et l'espoir du Poulailler s'emparent :
On en crut l'Aigle ; et, pendant qu'aux forfaits,
Dans un coin écarté, mon Coq se livre en paix,
Mainte poule, à l'envi, va d'une patte adroite,
Du Poulailler à l'Aigle ouvrir l'issue étroite ;
Bref, après quelque effort, le voilà bien content
Au sein du Poulailler qu'il referme à l'instant.
Soudain, se livrant à la joie,
l'aspect de sa proie,
Fidèle au pacte, il attaque le Coq,
Et le dévore après un faible choc ;
Dans ce choc cependant maints poulets se meurtrirent,
Et même quelques-uns périrent.
L'Aigle vainqueur sans doute pouvait bien
Croquer poules, poulets, chapons ; il n'en fit rien :
De leur bonheur il fit le sien.
À vrai dire, ce trait est d'une espèce rare :
De tels libérateurs la nature est avare :
Aussi, si, dans un cas pareil,
Les poulets, quelque jour, me demandaient conseil,
Je dirais : A vos maux sachez porter remède,
Et craignez d'appeler l'Aigle même à votre aide ;
Car, je le dis en bon français,
Qui dévore le Coq peut manger les poulets.