L'Océan et le Tage Ignacy Krasicki (1735 - 1801)

L'océan, glorieux de son immensité,
En vint un jour à ce point de fierté
De mépriser les fleuves de la terre,
Qui versent dans son sein leur onde tributaire.
« Cessez, leur disait-il, d'aller vous épuisant;
Sans vous je suis assez puissant;
Votre secours m'est inutile. »
Du fond de ses roseaux levant un front tranquille,
Le Tage répondit à ces mots orgueilleux :
« Océan, Océan, tu ferais beaucoup mieux
De nous laisser couler en paix et de te taire :
Car si nous parcourons la terre,
C'est pour ton bien,
Et sans nous tu ne serais rien ! »

Ainsi l'on voit souvent du sein de l'opulence
Le riche vaniteux traiter avec hauteur,
Dédaigner, mépriser l'honnête laboureur,
Qui sous les vêlements de la triste indigence,
Courbé sur la charrue et couvert de sueur,
Consacre au dur travail toute son existence.
Ne peut-il pas aussi dire à ces orgueilleux :
Messieursles grands seigneurs, vous feriez beaucoup mieux
De nous laisser en paix et de vous taire;
Car si nous cultivons la terre,
C'est pour vous, c'est pour votre bien,
Et sans nous que seriez-vous ? Rien !

Livre I, fable 9




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