L'Épi et la Fleur Ivan Krylov (1768 - 1844)

lu épi dans les champs par le veut agité.
Au travers des vitraux d'une élégante serre
Voyait avec dépit sous son dôme de verre
Une fleur délicate abriter sa beauté.
Avec les moucherons pour désoler sa vie
L'épi voit conspirer les froids et les chaleurs,
Et, le sort de la rose irritant son envie,
A son maître, un beau jour, il conte ses douleurs
.. Des hommes voyez l'injustice !
Lui criait-il d'un air mutin.
Ce qui plaît à leurs yeux ou flatte leur caprice,
D'un bon accueil près d'eux en tout temps est certain.
Pour celui qui les sert de dons ils sont avares.
Au champ qui te nourrit tout ton bien-être est dû ;
D'où vient donc que pour lui tes bienfaits sont si rares ?
Du grain sur le sol répandu
Depuis qu'elle est dépositaire,
T'a-t-on vu donner à ma terre
Le soin que ses besoins ont toujours attendu?
Non, tu nous as laissés germera l'aventure,
Croître sans aide et sans soutien ;
Tu n'aimes que ces fleurs qui ne te donnent rien,
Ni richesse ni nourriture;
Et c'est nous qu'avare et méchant,
Tu veux ainsi réduire à croupir dans un champ.
Tandis que, sous un verre engraissant leur paresse,
Tu prodigues aux fleurs tes soins et la tendresse.
Ah! si ton cœur reconnaissant
Nous accordait faveur égale,
Tes blés, dès l'an prochain, te rendant cent pour cent,
Par caravane iraient nourrir la capitale !
Réfléchis donc enfin ; consens à nous bâtir
Une serre assez vaste où nous puissions grandir.
— Oh ! mon ami, répond le maître.
N'as-tu pas vu que tous mes soins
Sont consacrés à les besoins
Et n'ont pour 1)1 que Ion bien-être ?
De ronces j'ai purgé le sol qui t'a nourri,
Et j'ai rendu fécond ton sillon appauvri.
Mais à quoi bon ici te détailler mes peines ?
Mon temps est précieux et tes clameurs sont vaines.
Que te sert d'exiger un inutile abri?
L'air et l'eau pour former ta sève nourricière,
C'est tout ce qu'il te faut : le reste serait vain,
Et, si j'écoutais ta prière,
Je n'aurais plus ni fleurs ni pain.

Que de gens on voit dans la vie,
Ouvriers, villageois, soldats.
Sur l'état du voisin jeter un œil d'envie !
Chacun maudit le sort, et l'on n'aperçoit pas
La raison qui le justifie.

Livre VII, fable 12




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