Le convoi de Chariots Ivan Krylov (1768 - 1844)

Un convoi de chariots lentement cheminait,
Pour porter des pots à la ville;
La route, qu'un ravin brusquement inclinait,
Présentait une pente ardue et difficile.
Au haut de la montée un instant arrêté,
Le maitre des chariots, les faisant tous attendre,
En prend un qu'il conduit et qu’il aide à descendre.
Le cheval, manœuvrant avec sagacité,
Semble porter la charge à sa croupe appuyée,
Sans laisser un moment la voiture enrayée
Sur le sol escarpé glisser en liberté.
Posté sur la hauteur, un cheval très novice
S'écriait : « Le voila, ce cheval tant prôné,
Belle trouvaille ! Est-il assez borné !
Il marche comme une écrevisse.
Tenez, voyez : A ce rocher
Tout à l'heure, à coup sûr, il ira s’accrocher !
Rien ! Il va de travers ; bon ! il va trop à droite
Trop à gauche, à présent ! âne à cervelle étroite !
Encor si l'on montait, si l'on n'y voyait pas !
Mais c’est à la descente, en plein jour qu'il se cogne !
Je n’y tiens plus, à voir comme il fait la besogne.
Ou reste à croupir au moulin,
Lorsque l'on est si pauvre sire.
Regarde un peu comme un matin
Tout autrement chez nous s’en tire !
Ne crains rien : je vais m’atteler ;
En un instant la chose est faite ;
Sans porter à dos la charrette,
Tu vas voir comme on va rouler ! »

Le cheval que l'ardeur emporte,
Poitrail tendu, crinière au vent,
Ebranle la voiture et l'entraine en avant.
Mais la roue était libre et la charge très forte :
Le chariot sur son dos heurtant, à coups pressés,
Va lancer les brancards dans ses flanes défoncés.
Pourtant notre cheval, d'une ardeur sans pareille,
Fend l'air des quatre pieds et fait encor merveille ;
Il franchit tout, ravin, fossé,
Saute et bondit sur chaque pierre ;
Enfin, loin du chemin tracé,
Il dévie, il dévie... il tombe à la riviére !
Adieu les pots ! Tout est cassé !

Ce travers chez les gens est assez ordinaire :
Tout ce que fait autrui leur parait anormal ;
Que le frondeur prenne l'affaire,
Il la fera deux fois plus mal.

Livre III, fable 5




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