Un cuisinier lettré, plus qu'il n'est ordinaire,
Quitte, un jour, ses fourneaux et court au cabaret ;
Fidèle observateur d'un triste anniversaire,
Par des libations témoignant son regret,
Il y voulait pleurer la mort de son compère.
Du reste, il donnait charge au matou du logis
De garantir les mets de la dent des souris.
Mais, au retour, douleur extrême !
Que voit-il ? Sur le sol ses pâtés en débris,
Et, dans un coin, Vaska lui-même,
Qui, filant son ronron dans un calme complet,
Blotti près un tonneau, détroussait un poulet !
« Goinfre ! » s'écria-t-il, confus de ce mécompte.
Et, se posant pour faire en chat un beau discours,
« Ah ! qu'à défaut des gens, ces murs te fassent honte !
(Vaska ne disait mot et grignotait toujours.
Fi ! toi qui, si longtemps fidèle,
Parmi les chats d’élite à bon droit fus cité,
Toi qui, pour ta sobriété,
Aux chats désordonnés pus servir de modèle,
C(est toi qui viens !... Honte et malheur !
Désormais les voisins pourront me dire en face :
- « Vaska n'est qu'un pendard ! Vaska n'est qu'un voleur !
Ce Vaska, sans larder, il faudra qu’on le chasse
De la cuisine et du logis,
Comme on repousse un loup vorace
Du toit paisible des brebis !
C'est un fléau, c'est une peste,
Oui, pour le voisinage un mal contagieux !
Mon Vaska, sans souci du reste,
Écoutait assez bien, mais mangeait encor mieux.
Notre orateur s’entête encore
A prêcher sa morale à ce chat perverti ;
Qu'arrive-t-il ? Tandis qu’à loisir il pérore,
Vaska tout à son aise a mangé son rôti !
Si d'autres cuisiniers venaient à non école,
Je leur conseillerais de graver sur leur mur :
« Quand sévir est utile, à quoi sert la parole ?
Agir est plus court et plus sûr. »
Note de l'auteur : Vaska, diminutif de Vassili (Basile), est le nom donné en général au chat par les gens du peuple.