Dans certaine maison vivait un sansonnet,
Mauvais chanteur, mais d'étoffe
A faire un grand philosophe.
11 s'était fait l'ami d'un tout petit minet,
Gentil chaton, d'humeur câline.
Modeste, tranquille et poli.
Le petit chat, un jour, fut laissé dans l'oubli,
Et sa table pâtit des torts de la cuisine :
Le pauvret souffre de la faim;
Pensif, tournant la queue, il erre à l'aventure,
Et, du jeune ennuyé, miaule et gémit sans fin.
Mon philosophe ailé, sur le mal qu'il endure.
Veut lui donner conseil : « Eh! lui dit-il, mon cher,
A supporter la faim tu mets tout ton courage ;
Je te trouve bien bon; lève le nez en l'air ;
Vois ce chardonneret suspendu dans sa cage;
Ne peux-tu te donner le régal de sa chair?
Mais non; j'en étais sûr : monsieur a des scrupules !
- Dame ! la conscience !... — Eh ! mon cher, on voit bien
Que du monde tu ne sais rien.
Ce sont préjugés ridicules
Qu'une âme faible écoute et que tout esprit fort
Appelle avec raison sornettes et fadaises ;
La force en ce bas monde a pris toujours ses aises,
Et la faiblesse a toujours tort.
Cette façon d'agir est partout si commune,
Que je t'en vais citer mille preuves pour une... »
Et, raisonnant sans fin et ab hoc et ab hoc,
De sa philosophie il vide à fond le sac.
Notre minet, las du régime,
Prête à ce beau discours un esprit attentif;
Il ouvre la porte au captif.
Et tombe à belles dents sur la pauvre victime.
Mais ce friand régal l'a mis en appétit,
Loin qu'à sa faim il pût suffire,
Et le chaton, pour mieux s'instruire.
Sent qu'une autre leçon lui porterait profit.
« Merci, dit-il, tes tours sont fort bons à connaître;
Tu m'as ouvert l'esprit. » Et le petit minet
Dans la cage du sansonnet
Va bel et bien croquer son maître.