Le Renard et le Chat Antoine Houdar de La Motte (1672 - 1731)

Faire parler les animaux,
Ce ne fut pas tout l’art des mensonges d’Esope :
Dans ses contes il développe
Leurs appétits divers, leurs instincts inégaux.
Il faut à la nature être toujours fidèle ;
Ne point faire du loup l’allié des brebis ;
Ne point vanter les chants de Philomèle,
Après qu’elle a fait ses petits.
Comme d’un homme peint quand le portrait ressemble,
On dit que c’est lui-même à la parole près ;
Prenant de l’animal les véritables traits,
Faites dire au lecteur : c’est bien lui, ce me semble ;
Voilà mon drôle, le voilà ;
S’il ne parlait, je croirais le voir là.
La fable ne veut rien de forcé, de bizarre.
Par exemple, je me déclare
Pour le renard gascon qui renvoie aux goujats
Des raisins murs qu’il n’atteint pas :
Mais il n’a plus sa grâce naturelle
Avec la tête sans cervelle.
Son mot est excellent. D’accord :
Mais un autre devait le dire.
Là-dessus, dira-t-on, n’aurez vous jamais tort ?
Sans doute, je l’aurai ; mais alors ma satyre
Tombera sur moi ; j’y souscris.
Qu’on me l’applique sans scrupule.
Veux-je de toute faute exempter mes écrits ?
Je ne suis pas si ridicule.
Qui voudrait écrire à ce prix ?
Le renard et le chat faisant voyage ensemble,
Par maints discours moreaux abrégeaient le chemin.
Qu’il est beau d’être juste ! Ami, que vous en semble ?
Bien pensé, mon compère : et puis discours sans fin.
Sur leur morale saine éloge réciproque ;
Quand à leurs yeux, maître loup sort d’un bois.
Il fond sur un troupeau, prend un mouton, le croque
Malgré les cris et les abois.
Ô, s’écria le chat, ô l’action injuste !
Pourquoi dévore-t-il ce paisible mouton ?
Que ne broutait-il quelque arbuste ?
Que ne vit-il de gland, le perfide glouton ?
Le renard renchérit contre la barbarie ;
Qu’avait fait le mouton pour perdre ainsi la vie ?
Et pourquoi le loup ravissant
Ne vivait-il pas d’industrie,
Sans verser le sang innocent ?
Leur zèle s’échauffait, quand près d’une chaumine
Arrivent nos scandalisés.
Une poule de bonne mine
Du vieux docteur renard frappe les yeux rusés.
Plus de morale ; il court, vous l’attrape et la mange :
Tandis qu’un rat qui sortait d’une grange,
Assouvit aussitôt la faim
Du chat, qui jusque-là s’était crû plus humain.
Non loin de là, demoiselle araignée,
Qui de sa toile vit le coup,
Raisonnait d’eux, comme ils faisaient du loup :
Une mouche à son tour n’en fut pas épargnée.
Nous voilà bien. Souvent nous condamnons autrui.
Que l’occasion s’offre ; en fait-on moins que lui ?

Livre I, fable 4






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