Un jour, certain loup, vieux routier,
Voulant aux ruses du métier
Former son fils encor novice,
Le mène au bord d'un bois et dit : « Regarde bien,
Si de quelque bon coup tu peux trouver l'indice.
Mais surtout ne ménage rien,
Sauf à faire après pénitence.
Va, cherche sans scrupule un berger à duper :
C'est par ut exploit d'importance
Qu'il faut conquérir ton souper. »
Le disciple docile aussitôt est en quête,
Puis, dés qu'il rentre à la maison :
« Père, dit-il, 1a table est prête!
Viens vite, nous avons du régal à foison !
C'est très sûr : j'ai vu paitre, av bas de la montagne,
De beaux moutons si gras qu’ils ne sauraient bouger.
A les voir, l'appétit vous gagne!
Viens, courons les choisir, les prendre et les manger.
Rien a craindre; ils sont 1a par mille,
Et d’en savoir le compte et serait difficile.
— Attends! il faut d'abord voir quel est le berger,
Dit alors le vieux loup. — On dit de lui, mon père,
Qu’il est intelligent et tout à son affaire;
Mais, en rôdant partout, j'ai pu voir que les chiens
Sont maigres, indolents et très mauvais gardiens.
— Ce que tu dis, mon fils, n'a rien qui m'encourage;
Tu vois mal; je sais, pour ma part,
Qu’un berger vigilant of sage
Ne prend point ses chiens au hasard,
S'attaquer à ceux-là serait peine inutile.
Je sais meilleur troupeau que celui d’où tu viens ;
Le berger n’est qu’un sol, et, qu’ils soient cent ou mille,
Sots comme lui sont les gardiens.
Ne crains point avec eux de rencontres sinistres :
A mauvais berger, mauvais chiens. »
A mauvais roi, mauvais ministres.