Le Paysan et l'Ouvrier Ivan Krylov (1768 - 1844)

Quand l'homme sent qu'un grand malheur
Font inattendu sur sa tête,
Sa bouche son futur sauveur.
Mais, sitôt que le danger passe,
C'est au bienfaiteur parfois s'il trouve grâce,
C'est un miracle à signaler.

Un soir, un villageois déjà courbé par l'âge,
Vers le temps de la fenaison,
Prenant par la forêt le chemin du village,
Avec un ouvrier regagnait sa maison.
Tout à coup, devant eux apparaît, face à face,
Un ours ! Le villageois de frayeur jette un cri ;
Mais déjà l'animal l'étreint et le terrasse,
Retourne, fait craquer son pauvre corps meurtri,
Et, le flairant, cherche la place
Pour attaquer enfin son morceau favori.
Le malheureux, hélas ! touche à sa dernière heure.
« Stéphane, frère, ami, ne m'abandonne pas ! »
Crie alors le vieillard qui supplie et qui pleure.
L'ouvrier, rassemblant ses forces dans ses bras,
Comme Hercule aussitôt fond sur l’énorme bête,
De sa hache lui fend la tête,
Et, de sa fourche l'éventrant,
Renverse l’animal et le laisse expirant.
Mais, le danger passé, le vieillard se redresse,
Et... d'injures sans fin accable l'ouvrier.
Stéphane, tout ému, de le calmer s’empresse.
« Epargne-moi, de grâce ; Oh ! pourquoi tant crier ?
— Et toi, stupide créature,
Pourquoi fais-tu tant d’embarras ?
Tu frappais l'ours à tour de bras,
Et tu m'as gâté ta fourrure ! »

Livre III, fable 4




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