Le Paysan et son fils L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

Un Manant qui par son épargne,
Par fon travail et par ses foins,
S'était acquis à la Campagne,
Un bien qui seul pouvait suffire à ses besoins.
Cet Homme, dis- je, exempt de toute inquiétude,
N'ayant pour Héritier qu'un Fils ,
Il le destine pour l'étude ;
Et chez un Magister le place dans Paris.
L'Enfant devenu grand retourne chez son père,
Qui crut voir en son Fils un Socrate, un Platon,
Car je dirais trop peu, ne disant qu'un Caton,
Le bon homme aux voisins n'en faisait pas mystère.
Mon Fils ne sauriez-vous d'une ou d'autre façon,
Dit un jour le Manant en se mettant à table,
Nous prouver par quelque raison,
A quoi vôtre savoir peut-être profitable.
Je ne me romprai pas pour cela le Cerveau,
Repart l'orgueilleux Jouvenceau.
Ce que vous demandez est juste et raisonnable ;
Jetant lors par Hazard les yeux dessus un plat
Ou six œufs à la coque apportez par sa Mère,
Pour elle, pour lui, pour son Père,
De leur table faisaient et la pompe et l'éclat,
Si par un discours énergique,
Reprit notre jeune pédant,
Je vous fais voir dans un instant
Dix œufs au lieu de six et cela sans réplique,
Pourrez-vous douter du pouvoir
Que donne aux hommes le savoir ?
Là-dessus notre Démosthène,
D'un galimatias fait à perte d'haleine,
Régale ses pauvres parents ;
Mais après que les bonnes Gens.
Eurent jusqu'à la fin toujours prêté l'oreille :
Mon Fils, dit le Père en bâillant,
Votre harangue est sans pareille ;
Mais, comme vous savez, je n'ai pas le talent
De pouvoir de vos mots comprendre la merveille.
Voyons donc plus réellement
De vôtre savoir l'avantage.
Cela dit, le manant fait des œufs le partage,
Il en prit trois pour lui, sa Femme en eut autant,
Prenez le reste mon Enfant.
Je comprends que pour le ménage
Votre savoir, mon Fils, sera d'un grand usage.

Par telles démonstrations ,
On doit les Sophistes combattre.
C'est par là qu'on répond à leurs distinctions ;
Et qu'on leur peut prouver que deux fois deux font quatre.

Livre II, fable 10




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