Le Buisson et les deux Paysans L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

Au temps que se fait la moisson,
Un Manant, qui pensait au profit du ménage,
Crût devoir préférer aux fruits du jardinage
Le bled, qui seul faisait l'espoir de sa maison ;
Aussi tant que dura cette riche saison
Il ne prit aucun soin des herbes à potage ;
Mais la récolte ayant pris fin,
Il alla de nouveau visiter fon Jardin.
Or parmi les mauvais herbages
Et mille autres plantes Sauvages
Qui s'y trouvèrent à foison,
Nôtre homme y rencontre un Buisson.
Oses-tu bien, plante maudite,
Jusques dans ce Jardin te montrer à mes yeux ?
Dit-il, avec un air colère et furieux,
Aussitôt d'une main à qui rien ne résiste
11 vous arrache le Buisson,
Et vous le fait voler derrière sa maison ;
Non pas sans recevoir trois ou quatre piqures
Avec autant d'égratignures,
Quelques heures après un autre Villageois
Qui passait par là d'aventure,
Aperçoit le Buisson au milieu de l'ordure
Dont la vigueur et la verdure
Etaient presqu'aux derniers abois.
C'est dommage dit- il qu'une plante si belle
Périsse malheureusement,
On devait charitablement
Lui redonner quelque place nouvelle.
Cela dit le Manant ramasse le Buisson
Et vous l'emporte en sa maison,
Où dans le plus beau lieu de tout son héritage
D'abord il s'en fut le planter,
Mais pendant qu'il faisait ce charitable ouvrage
Il se sent du Buisson cruellement piquer;
Symbole de l'ingratitude,
S'écrie en fureur le Manant;
Est-ce donc là, la gratitude
Dont pour un tel bienfait tu me vas régalant ?
Lors de fa main ensanglantée
Il prend de nouveau le Buisson,
Va le pendre à sa cheminée
Et du feu qu'il en fit régala sa maison.

L'on voit dans ce Buisson une vive peinture
De ce que savent les Ingrats ,
Ces dénaturés scélérats
Qui de l'humanité n'ont rien que la figure,
Agissant envers leurs amis
Comme aveques leurs ennemis.

Livre II, fable 17




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