L'Âne et le Renard L-S du Ruisseau (16?? - 17?)

Un nard, en passant auprès d'une prairie,
Aperçût un jeune Baudet ,
C'était des Roussins d'Arcadie
Peut-être le plus gras comme aussi le mieux fait
Le Gibier plaisait fort au maître en fourberie ,
Mais fa force n'était égale à son envie; :
La ruse y suppléa, je vais dire comment.
Le fourbe commença par ce beau compliment
Faut-il que vôtre Seigneurie ,
Dit-il, en s'approchant du Roussin d'Arcadie,
Aveques d'aussi beaux talents
Qui la font admirer des plus indifférents,
Consume dans ces prés ou bien parmi les champs
Les jours les plus beaux de sa vie ?
Vous enfin qui pourriez à la Cour du Lion
Même avec ses Enfants faire comparaison.
Venez y seulement une fois je vous prie,
Et comptez que de toutes parts
Vous vous attirerez des mortels les regards.
Sur l'esprit du Grison ces flatteuses paroles
Firent autant d'effet que sur nous les pistoles.
Mais je trouve à propos ajouta le Renard,
De prier votre Seigneurie
De me faire avant son départ,
Son maître de cérémonie.
J'approuve ton conseil, repartit le Grison,
Je te revêts de cette charge.
Cela dit nos Messieurs se mettent en voyage.
Arrivez à la Cour du puissant Roi Lion,
Voici comme le Fourbe ourdit sa trahison.
D'abord par des rapports il fit accroire au Sire
Que de lui le Baudet osait par tout médire ;
Oui, Seigneur, sans égard pour votre Majesté,
Cet ambitieux ose dire
Que si le Sceptre était le prix de la beauté
Il n'est personne dans l'Empire
Qui l'ait mieux que lui mérité.
Deux ou trois jours après, les yeux baignés de larmes,
Le Renard vint encor faire entendre au Lion
Que de toutes parts le Grison
Faisait amas de poudre et d'armes ;
Ah prévenez, Seigneur ses injustes projets
Avant qu'il ait gagné le cœur de vos sujets.
Pour lors Sa Majesté Lionne ,
Sans trop approfondir cette accusation,
Fit donner au Renard une commission
Pour aller du Baudet arrêter la personne,
Va dit-il je te l'abandonne,
Fais en à ta discrétion.
Il n'en fallut pas davantage
Pour faire mourir le Grison.
Mais lors que le Renard le vint dire au Lion,
Je veux, lui dit le Roi, du digne personnage
Manger la cervelle en potage ;
Sire il n'en avait point, repart le scélérat,
Qui l'avait aussitôt gobée ;
Car s'il en avait eu gros comme une Araignée
Eut-il jamais été si fat
Que de fuir les douceurs d'une innocente vie,
Pour venir faire ici montre de sa folie.

On en dit tout autant de ces Ambitieux,
De tous ces Gens à tête folle,
Qui préfèrent souvent à des biens précieux
Un bien passager et frivole.

Livre II, fable 18




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