Le Paysan et la Hache Ivan Krylov (1768 - 1844)

Voulant, un jour, bâtir, un pauvre villageois
Prend sa hache et se met à façonner son bois.
Pour la hache dès lors ce fut mauvaise aubaine.
Notre ouvrier n'était pas fort ;
Coupant tout de travers, en vain il se démène.
La hache pèse trop, la hache a toujours tort :
Fait-il quelque bévue, elle en porte la peine ;
Il la jette en jurant, l'insulte à tout propos :
« Bonne à rien, criait-il, et paresseuse insigne!
Je ne t'emploierai plus qu'à tailler des copeaux
Ou des échalas pour ma vigne.
Oh ! tu crois bien m'embarrasser ;
Mais j'ai du cœur au ventre et de l'intelligence;
On connaît son métier! Tu verras, sotte engeance.
Qu'une hache n'est rien et qu'on sait s'en passer.
Avec un couteau je puis faire
Ce qu'avec une hache on fait toujours très mal ;
Je puis tailler du bois! — Tailler est mon affaire,
Dit sans courroux la hache au villageois brutal.
Qu'en tout ta volonté soit faite;
J'obéis et reste à l'écart.
Mais réfléchis : dans ma retraite
Tu viendras me chercher plus tard.
Pour bâtir, un couteau ne t'est d'aucun usage;
La hache y suffira, si tu sais ton métier.
Tout n'est pas propre à tout , et tant vaut l'ouvrier,
Tant vaut l'outil, nous dit le sage. »

Livre VI, fable 6




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