Le Houblon Ivan Krylov (1768 - 1844)

Un houblon, dans un potager
Dédaignant de ramper à terre,
Au sommet d'une perche avait su se loger,
Tandis qu'un jeune chêne, à tous soins étranger,
Languissait, près de là, dans un champ solitaire.
« A quoi sert pareil avorton ?
A toi vraiment s'il se compare,
Dit à la perche le houblon,
Il faut qu'il ait, ma chère, une audace assez rare.
De ton corps élégant la svelte majesté
Suffit pour t'assurer sur lui la primauté.
Il se pare, il est vrai, d'un bouquet de feuillage.
Mais que sa tige est rude et son aspect sauvage.
La terre h le nourrir met bien de la bonté ! »
Une semaine au plus se passe ;
Cherchant du bois, le maître, un jour,
Voit la perche, la prend, la casse,
Et dans le potager met le chêne à son tour.
L'arbuste que sa main dirige
Pousse, grandit et voit, dans ce nouveau séjour,
De nombreux rejetons s'allonger sur sa tige.
Que fait notre houblon ? Vite, il court s'enlacer
Dans les rameaux du chêne, où, sans honte, il se loge ;
Et, depuis lors, sans se lasser.
Tous les jours il s'enroue à chanter son éloge !
Ainsi maint flatteur change au gré de son orgueil :

Soyez obscur, sa langue en tout lieu vous déchire ;
Vous aurez beau faire et beau dire,
N'espérez pas alors plus favorable accueil.
Mais qu'un hasard vous mette en vue.
Courant assiéger votre seuil,
Dès l'antichambre il vous salue.

Livre VI, fable 10




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