Les deux Voisins et la Calomnie

J. F. Roucher (19è)


Que je te plains, ô pauvre infortuné,
Victime de la calomnie !
Que je te plains !…. Va, cours cacher ta vie
Au fond d'un bois des hommes éloigné !
Fuis : pour prouver ton innocence,
Tu fais un inutile effort ;
Jamais de l'infortune on ne prend la défense :
Le malheureux a toujours tort.
Deux jeunes gens, à peu près du même âge,
Étaient voisins depuis long-tems.
L'un ne reçut du ciel, pour héritage,
Qu'un bon cœur et quelques talent.
L'autre, boufsi de suffisance,
En despote régnait chez lui :
Les tyrans qu'on cite aujourd'hui
N'eurent jamais plus d'arrogance.
M n'eut rien du hasard que l'on nomme naissance ;
Pauvre il naquit… faible sujet d'ennui !
Car il vivait au sein de l'abondance,
De quel bien ?…. de celui d'autrui.
Aisément on croira qu'un pareil personnage
Était jaloux de son jeune voisin,
Qui des beaux-arts faisant l'apprentissage,
Vivait content de peu, composait maint ouvrage,
Et de la gloire essayait le chemin.
Déjà la Renommée, imprudente courrière,
Annonce ses heureux essais.
Dès-lors auprès des grands il trouve un libre accès ;
Mais la grandeur ne lui plaît guère :
Pour lui le vrai bonheur serait une chaumière,
Ou bien loin des méchans il pourrait vivre en paix.
Il a raison : de ses succès
Il va payer bien cher la gloire passagère.
Infortuné, tu peux renoncer au bonheur !
Ton voisin a jure ta mort, ton déshonneur.
Soudain l'affreuse calomnie
Lance sur lui ses traits envenimés,
Et déjà de la notre curie
Tous les serpens contre lui sont armés.
Ainsi qu'un malfaiteur tout le monde l'évite ;
Ses amis n'osent plus le voir ;
Son voisin seul, qui veut le recevoir,
Le trahit et le précipite
Dans les horreurs du désespoir.
» Mourir n'est rien ; je déteste la vie,
Disait le jeune artiste en proie à sa douleur ;
Pour moi chez les humains il n'est plus de bonheur,
La mort est un bien que j'envie….
Mais mourir dans le déshonneur !
Des gens de bien perdre l'estime !
Me voir abandonné de ceux que je chéris !
Être pour tout le monde un objet de mépris !….
Tonnez, grands dieux ! frappez votre victime !
Je demande la mort ; je l'implore à genoux ;
Mais rendez-moi l'honneur, et je bénis vos coups. »
Son désespoir, ses sanglots ni ses larmes
De son voisin ne touchent point le cœur ;
On pense bien qu'un imposteur
De la douce pitié ne ressent point les charmes…..
Jupiter seul n'est pas sourd à ses cris.
Sur le trône des airs, à ses regards surpris
Il paraît : moment redoutable !
D'un nuage de pourpre il est environné.
Alors d'une voix formidable ;
« Je vais punir, dit-il, et frapper le coupable.
» L'imposteur tremble…. Il est extermine'.
Puissent ainsi perdre la vie
Ceux qui de l'innocent flétrissent les vertus !
Mais hélas ! aujourd'hui leur race multiplie,
Et Jupiter ne tonne plus.





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