Le Serpent et la Pie

J. F. Roucher (19è)


Un serpent, l'autre hiver, sur la neige étendu,
Non loin de lui vit une pie ;
Aussitôt il l'appelle, et lui dit : mon amie,
Je suis tout gelé, morfondu ;
Réchauffe-moi, je t'en supplie ;
Je t'aimerai toute ma vie :
Un bienfait n'est jamais perdu.
Bien volontiers, dit l'imprudente !
Puis sous son aile le plaça,
Le réchauffa, le caressa,
Car elle était compatissante.
Ce doux remède opéra promptement ;
On le croira facilement.
Contre le froid du tems et les glaces de l'âge,
La chaleur naturelle est un remède sûr.
Le roi David jadis en fit usage,
Et s'en trouva fort bien ; mais David était sage :
Il ne sentit jamais aucun désir impur.
On le dit, je le crois : il ne m'importe guère
D'être juge dans cette affaire.
Je reviens au reptile ; à peine ranimé
Sa cruauté renaît ; il se dresse, il s'excite ;
Le bienfait l'importune, et la pitié l'irrite :
De colère il est enflammé.
La pauvre pie est interdite ;
Elle voudrait prendre la fuite,
Mais vainement ; l'ingrat contre elle s'est aimé.
Il frappe de son dard, il couvre de morsures
Sa bienfaitrice, hélas ! expirant des blessures
Que lui fait l'inhumain de son sang affamé.
Ingrat, dit-elle, ingrat, quelle est ta barbarie !
Tu me donnes la mort…..Je t'ai sauve la vie !

Fut-on jamais criminel à ce point !
Le serpent lui répond ; je ne t'écoute point.
Cesse de murmurer ; ta plainte est superflue :
Faible je rampe et fort je tue.





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