La Taupe, le Serin et le Jardinier

J. F. Roucher (19è)


Dans la saison des fleurs, un jeune et beau serin
Fut mis par des enfants au milieu d'un jardin.
La cage était placée à terre ;
Ce qui n'empêchait pas notre gai chansonnier
De répondre en chantant aux accords de son frère,
Qui dans le pavillon demeurait prisonnier.
Tout-à-coup la cage remue,
Remue encore, et lui de s'effrayer ;
Et puis de se réfugier
Dans l'abreuvoir ; et puis de reporter la vue
Dans le jardin, où la moindre laitue
Lui semble Jupiter prêt à le foudroyer.
Que devenir, hélas ! que faire
Contre ce tremblement de terre ?
Peut-être touchons-nous au jugement dernier ;
Voici la fin du monde entier.
Il se tourmente, se désole ;
Il a perdu la voix et la parole ;
Quand, tout-à-coup, un animal tout noir
A ses yeux surpris se fait voir :
C'est une taupe.... Oh ! oh ! dit-il, bête maudite,
Quoi ! c'est toi qui m'as fait.... retire-toi bien vite,
Ou bientôt notre jardinier
Va t'envoyer aux rives du Cocyte :
Je croyais ta race détruite
Depuis le mois de mai dernier.
La taupe aussitôt lui réplique :
C'est bien à toi de babiller,
Chétif chanteur, qui viens de m'éveiller
Par les sons discordants de ta sotte musique !
Et de quel droit, réponds-moi, s'il te plaît,
Oses-tu bien m'adresser la parole ?
Souvenez-vous, monsieur le drôle,
Que vous êtes un sot avec votre caquet.
Quels sont vos titres, je vous prie ?
Que faites-vous, pour avoir tant d'orgueil ?
Servez-vous l'État, la Patrie ?
Méritez-vous de leur part un coup- d'œil ?
Non, non, vous vivez d'industrie.
Vous chantez chez les grands le soir et le matin ;
Sans votre voix, déjà vous seriez mort de faim.
Aisément le serin se fut laissé confondre,
Quoiqu'il eût de quoi lui répondre ;
Mais il voyait le jardinier de loin,
Qui venait arroser les pâles chicorées,
Au printemps souvent altérées ;
Lors il reprend courage.... il en avait besoin.
Eh quoi, dit le serin, tu deviens téméraire !
Peux-tu bien me parler avec tant de hauteur ?
Et que fais-tu, toi-même, au jardin, au parterre ?
On te nomme partout l'animal destructeur.
Pourquoi te caches- tu dans le sein de la terre ?
On se cache quand on a peur,
Ou quand on a dessein de nuire, de mal faire.
Moi, je chante, il est vrai, du matin jusqu'au soir ;
C'est preuve d'un bon caractère :
Quand le soleil paraît, je me plais à le voir.
Le méchant seul fuit sa lumière.
La taupe, en entendant ces mots,
Entre en courroux ou plutôt en furie :
« Ah ! petit insolent, tu vas perdre la vie.
Je vais punir tes indignes propos.
Je veux.... attends.... » Le jardinier la guette,
Tombe sur elle à grands coups de serpette,
Fait trois parts de son corps ; et le serin content
Le remercie aussitôt en chantant.

Aux taupes, jardinier, sans cesse fais la guerre :
Tes jardins en seront plus fertiles, plus beaux ;
Loin, bien loin ces vils animaux
Qui travaillent toujours sous terre.





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