Dans la saison des fleurs, un jeune et beau serin
Fut mis par des enfants au milieu d'un jardin.
La cage était placée à terre ;
Ce qui n'empêchait pas notre gai chansonnier
De répondre en chantant aux accords de son frère,
Qui dans le pavillon demeurait prisonnier.
Tout-à-coup la cage remue,
Remue encore, et lui de s'effrayer ;
Et puis de se réfugier
Dans l'abreuvoir ; et puis de reporter la vue
Dans le jardin, où la moindre laitue
Lui semble Jupiter prêt à le foudroyer.
Que devenir, hélas ! que faire
Contre ce tremblement de terre ?
Peut-être touchons-nous au jugement dernier ;
Voici la fin du monde entier.
Il se tourmente, se désole ;
Il a perdu la voix et la parole ;
Quand, tout-à-coup, un animal tout noir
A ses yeux surpris se fait voir :
C'est une taupe.... Oh ! oh ! dit-il, bête maudite,
Quoi ! c'est toi qui m'as fait.... retire-toi bien vite,
Ou bientôt notre jardinier
Va t'envoyer aux rives du Cocyte :
Je croyais ta race détruite
Depuis le mois de mai dernier.
La taupe aussitôt lui réplique :
C'est bien à toi de babiller,
Chétif chanteur, qui viens de m'éveiller
Par les sons discordants de ta sotte musique !
Et de quel droit, réponds-moi, s'il te plaît,
Oses-tu bien m'adresser la parole ?
Souvenez-vous, monsieur le drôle,
Que vous êtes un sot avec votre caquet.
Quels sont vos titres, je vous prie ?
Que faites-vous, pour avoir tant d'orgueil ?
Servez-vous l'État, la Patrie ?
Méritez-vous de leur part un coup- d'œil ?
Non, non, vous vivez d'industrie.
Vous chantez chez les grands le soir et le matin ;
Sans votre voix, déjà vous seriez mort de faim.
Aisément le serin se fut laissé confondre,
Quoiqu'il eût de quoi lui répondre ;
Mais il voyait le jardinier de loin,
Qui venait arroser les pâles chicorées,
Au printemps souvent altérées ;
Lors il reprend courage.... il en avait besoin.
Eh quoi, dit le serin, tu deviens téméraire !
Peux-tu bien me parler avec tant de hauteur ?
Et que fais-tu, toi-même, au jardin, au parterre ?
On te nomme partout l'animal destructeur.
Pourquoi te caches- tu dans le sein de la terre ?
On se cache quand on a peur,
Ou quand on a dessein de nuire, de mal faire.
Moi, je chante, il est vrai, du matin jusqu'au soir ;
C'est preuve d'un bon caractère :
Quand le soleil paraît, je me plais à le voir.
Le méchant seul fuit sa lumière.
La taupe, en entendant ces mots,
Entre en courroux ou plutôt en furie :
« Ah ! petit insolent, tu vas perdre la vie.
Je vais punir tes indignes propos.
Je veux.... attends.... » Le jardinier la guette,
Tombe sur elle à grands coups de serpette,
Fait trois parts de son corps ; et le serin content
Le remercie aussitôt en chantant.
Aux taupes, jardinier, sans cesse fais la guerre :
Tes jardins en seront plus fertiles, plus beaux ;
Loin, bien loin ces vils animaux
Qui travaillent toujours sous terre.