Le Bâton d'Alexandre Jacques Cazotte (1719 - 1792)

Alexandre est gisant au lit.
Oui, messieurs, Alexandre gît,
Au lit, malade : il a la goutte.
Vous vous en étonnez sans doute,
Vous croyez les héros des tissus de ressort,
Sur qui le temps n'ait rien à faire.
Ils ont une âme au-dessus du vulgaire :
La même argile a formé tous les corps.
Au pied du lit du valétudinaire,
Sur des carreaux qu'étouffait le brocard,
Un Bâton était par hasard.
Un Bâton là! pour quelle affaire ?
Etait-ce donc un Bâton ordinaire?
C'était un pieu le soir d'auparavant:
Le sort l'a fait l'appui du monarque boitant.
Sur notre nouveau courtisan,
Le vent de la faveur a déjà fait ravage.
En un clin-d 'œil, en un moment,
Ce vent dérangerait un sage,
Qu'aura-t-il fait d'un imprudent ?
Notre Bâton se croit un personnage.
Ecoutons un peu son langage.
Le Sceptre est déchu de ses droits,
Et le roi me met à sa place.
Je n'ai point brigué cette grâce.
Il est tout d'or, je suis de bois.
On ne nous a pas pris au poids,
Le mérite a forcé le choix.
J'ai bien montré mon savoir faire.
Hier, au matin, Alexandre me prend,
D'un trait, sans hésiter, je lui trace son camp.
Nous fîmes la paix et la guerre,
Le Scythe s'en alla content,
L'Indien ne le fut pas tant,
Mais nous saurons le traiter de manière,
Qu'il nous ouvrira sa barrière.
Un favori de moi reçut un coup ou deux,
Et parut enivré de joie.
Si l'on goûte ici ma monnaie,
Je prétends faire des heureux.
Un grand doit être généreux.
Tandis que le Bâton caresse sa chimère,
Quelques instans de repos
Rendent le calme au héros.
Sa douleur est plus légère,
Il peut marcher sans son nouvel appui ;
Il le jette loin de lui :
Il n'étoit plus nécessaire.
Ainsi finit son instant de faveur.
Vil instrument, qu'un bonheur
Approche de votre maître,
Apprenez à vous connaître.

Fable 29




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