En états-généraux Apollon convoque
Tout l'Alphabet un jour. Lettres en robe noire
Vinrent au rendez-vous ; aucune n'y manqua.
Sur le Pinde, chef-lieu du nouveau consistoire,
On s'assemble, et d'abord graves discussions :
Il s'agissait de préséance,
Et sur ce point l'orgueilleuse assistance,
Partagée en deux sections,
N'était d'accord. Dames Consonnes,
Plus nombreuses personnes,
Voulaient faire la loi :
De leur côté, dames Voyelles,
Arrogantes femelles,
Prétendaient qu'à leur ordre était dû cet emploi.
Débats tumultueux, et bruyantes querelles :
Pour soutenir l'effort
Du parti le plus fort,
Les cinq intrépides cousines
S'unirent aux Accents,
Qui se mirent soudain, chevaliers complaisants,
À la tête des héroïnes.
Les Esprits rude et doux
S'efforçaient, suivant leur génie,
Ou de calmer, ou d'aigrir leur courroux.
Le Dieu de l'harmonie
Entendant le sabat
Du féminin Sénat,
À la paix le convie :
Renoncez, dit-il, je vous prie.
À ces vaines prétentions ;
Et, bannissant toutes divisions.
Cherchez une méthode,
Également sûre et commode,
Pour conserver aux siècles à venir
Des faits du temps passé l'utile souvenir.
Un travail de telle importance
Ne doit-il pas vous réunir ?
Ces mots ont amené la bonne intelligence ;
On se rapproche, on se confond.
De ce mélange, en prodiges fécond,
Syllabes reçoivent naissance,
Et se groupent en mots, dont l'heureuse alliance
De la phrase produit la superbe ordonnance.
Par cet arrangement,
La pensée eut des signes,
L'Invention traça des lignes,
Et l'art aux yeux montra le jugement.
L'écriture parut, et ses rares merveilles
Furent de l'union les sublimes effets.
Membres du Sénat des Français,
Désirez-vous en faire de pareilles ?
Ne vous désunissez jamais.