L'Homme et la Puce Jean-François Guichard (1731 - 1811)

Dans chaque individu règne une folle gloire
Qui le porte a s’en faire accroire.
Tous les oiseaux, au dire du milan,
Ne sont créés que pour sa nourriture,
Plus orgueilleux encore, un farouche tyran
S’érige en dieu de la nature,
A son joug détesté fait plier les mortels,
En exige des vœux, des respects, des autels.
Quand le sable doré du Tage
Ou de la mer l’agréable rivage
A l'habitant de ’humide séjour
De perles se présente émaillé tout autour ;
Sous le corail lorsqu’il se joue,
Bondit, nage en faisant la roue,
Et que l’Océan fastueux
Balance sur son corps ses flots majestueux ;
Pour nos plaisirs, dit-il, ces choses-la sont faites,
Quel agrément ! En vérité,
La nature a trop de bonté
D’embellir ainsi nos retraites.

Dans le temps où la terre est couverte de fleurs,
Quand d’un soleil constant la présence amoureuse
Vient sur la pêche savoureuse
Etendre ces couleurs
Que sur le teint brillant de la chaste Céphise
Plus d'un amant enchanté prise ;
Lorsqu’à demi rompu le figuier sous ses fruits
Se courbe, qu’au milieu de ses pampres la vigne
Etale des raisins mûris ;
De ces faveurs feignant de se trouver indigne,
Et toutefois de ses yeux satisfaits
Fixant ces ravissants objets,
Quoi ! tous ces dons (ô ciel ! est-il possible ?)
Sont pour le limaçon ! Ah ! j’y suis bien sensible.

Rien n’approche de l’être humain,
C’est l’ouvrage par excellence,
Vous assure avec complaisance
L’homme, des animaux |’animal le plus vain.

Diane de Phébus prenait déjà la place,
Sur les cieux étailés son argentine face
Versait ce frais éclat d’un jour qui n’est pas jour ;
La mer au loin frappait les échos d’un bruit sourd ;
Sur ses bords un mortel, que cet aspect transporte,
Sort de ‘sa rêverie, et parle de la sorte :
Quand j’observe avec soin cet appareil pompeux,
Cette vaste magnificence,
Des fleuves ce concours nombreux,
Leur onde qui sans fin couvre un espace immense,
Tout ce peuple écaillé qui fend le sein des eaux,
Et cet autre emplumé qui dans les airs s’élance,
Partout ces milliers d’animaux
Dont j’admire la différence,
Ces plaines, ces côteaux, ces bois, le jour, la nuit,
La chaine des saisons qu’un sage ordre conduit,
Et que de tant de biens je dis, cet assemblage
De l'homme est pourtant le partage !
Sa nature se perd en mes sens étonnés :
Une puce, à l'instant, sur Je bout de son nez.
Saute, le pique, le tourmente ;
Et tandis qu'il s'impatiente :
Moins de jactance désormais,
Lui dit-elle ; abjurez vos fables ;
Me sentez-vous ? Pour moi sont faits
Et vous, et vos semblables.

Livre III, fable 14




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