Le Citoyen d'Argos Jean-Jacques Porchat (1800 - 1864)

Puis-je aimer le savoir, s'il coûte le bonheur ?
L’aimer ! Il faudrait le maudire,
Un fou se croit heureux ? Laissez—lui son délire.
Faites mieux : partagez s'il se peut son erreur.
D'un Citoyen d’Argos on connait l'aventure.
Sa raison se troubla, non pas entièrement;
Sur mille objets divers, sur l'homme et la nature,
Sur la philosophie et la littérature
Il raisonnait pertinemment ;
Était discret, honnête, aimable époux, bon père ;
A ses amis en un besoin
Donnait maint conseil salutaire.
Il voyait de haut et de loin.
Il était fou pourtant, et voici sa folie :
Il aimait fort la comédie,
Et ne voulant point s’en passer,
Seul, en dépit de la clôture,
Devant la scène vide il allait se placer,
Là, du pied battant la mesure,
Il s’écriait : « Bravo! merveille! » et cætera.
Il se croyait à Opéra.
On eut pitié de lui. L’oracle d’Epidaure
Ordonna six grains d’ellébore,
Et ce remède enfin (dirai-je ce poison ?)
Le tira de sa rêverie.
Bref il eut toute sa raison,
Mais il n’eut plus la comédie.

Livre VII, fable 7




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