Un homme avait deux amis à la fois.
Un seul vaut mieux, dit Plutarque le sage.
Damon jadis n’en eut qu’un; c’est, je crois,
N’en vouloir point qu’en chercher davantage.
Notre homme un jour reçoit donc ce message
De l’un des siens : Dieu, qui m’exauce enfin,
Me donne un fils. Soyez-en le parrain !
Comblez ma joie! À jeudi le baptême :
Je vous attends… Je saurai si l’on m’aime !
Mais l’autre ami, la veille de ce jour,
À son intime écrivit à son tour :
J’avais un fils, ma plus chère espérance;
Je l’ai perdu. Vous partagez mon deuil :
Venez de pleurs arroser son cercueil,
Et, s’il se peut, adoucir ma souffrance.
Je vous connais : je vous attends demain.
Mais c’est le jour où l’on nous fait parrain,
Se dit notre homme. Où courir et que faire ?
Sans choquer l’un à l’autre comment plaire ?
Restons chez moi : c’est le moins hasardeux.
De l’amitié tenons bien la balance ;
Ménageons-les, et craignons pour l’un d’eux
De laisser voir aucune préférence.
Mauvais parti, qui les blessa tous deux !

Livre II, fable 1




Commentaires