Fanfan et Colas Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Fanfan gras et vermeil, et marchant sans lisière,
Voyait son troisième printemps.
D'un si beau nourrisson Pérette toute fière
S'en allait à Paris le rendre à ses parents.
Pérette avait sur la bourrique,
Dans deux paniers, mis Colas et Fanfan.
De la riche Cloë celui-ci fils unique,
Allait changer d'état, de nom, d'habillement,
Et peut-être de caractère.
Colas, lui, n'était que Colas,
Fils de Pérette et de son mari Pierre.
Il aimait tant Fanfan qu'il ne le quittait pas.
Fanfan le chérissait de même.
Ils arrivent. Cloë prend son fils dans ses bras :
Son étonnement est extrême,
Tant il lui paraît fort, bien nourri, gros et gras.
Pérette de ses foins est largement payée ;
Voilà Pérette renvoyée ;
Voilà Colas que Fanfan voit partir.
Trio de pleurs. Fanfan se désespère :
1 Il aimait Colas comme un frère ;
Sans Pérette et sans lui, que va-t-il devenir ?
Il fallut se quitter. On dit à la nourrice :
Quand de votre hameau vous viendrez à Paris >
N'oubliez pas d'amener votre fils,
Entendez-vous, Pérette ? On lui rendra service.
Pérette le cœur gros, mais plein d'un doux espoir,
De son Colas déjà croit la fortune faite.
De Fanfan cependant Cloë fait la toilette.
Le voilà décrassé, beau, blanc, il fallait voir :
Habit moiré, toquet d'or, riche aigrette.
On dit que le fripon se voyant au miroirs
Oublia Colas et Pérette.
Je voudrais à Fanfan porter cette galette,
Dit la nourrice un jour ; Pierre, qu'en penses-tu ?
Voilà tantôt fix mois que nous ne l'avons vu.
Pierre y consent, Colas est du voyage.
Fanfan trouva (l'orgueil est de tout âge)
Pour son ami, Colas trop mal vêtu :
Sans la galette il l'aurait méconnu.
Pérette accompagna ce gâteau d'un fromage,
De fruits, et de raisins, doux trésors de Bacchus.
Les présents furent bien reçus,
Ce fut tout ; et tandis qu'elle n'est occupée
Qu'à faire éclater son amour,
Le marmot, lui, bat du tambour,
Traîne son charriot, fait danser sa poupée.
Quand il a bien joué, Colas dit : C'est mon tour.
Mais Fanfan n'était plus son frère,
Fanfan le trouva téméraire ;
Fanfan le repoussa d'un air fier et mutin.
Pérette alors prend Colas par la main :
Viens, lui dit-elle avec tristesse,
Voilà Fanfan devenu grand Seigneur ;
Viens, mon fils, tu n'as plus son cœur.

L'AMITIÉ disparaît où l'égalité cesse.

Livre I, fable 1




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