Colas était le coq de son village,
Jeunes et vieux l'écoutaient comme un sage.
Dans la société, disait notre malin,
Prenant du bien public le louable prétexte,
Chacun agit pour soi, c'est toujours mon refrain ;
Et ce refrain, Messieurs, va me servir de texte.
Écoutez : Croyez-vous que ces braves guerriers
Qui vont au champ de Mars moissonner des lauriers,
Aillent uniquement défendre la patrie ?
Jaloux des rangs et des honneurs,
L'espoir de parvenir au faîte des grandeurs,
De Bellone leur fait affronter la furie.
Croyez-vous que cet orateur,
Frondeur ou partisan de la philosophie,
Ait, en vous pérorant, pour but votre bonheur,
Soit ici-bas, ou bien dans l'autre vie ?
C'est pour lui seul qu'il prêche ; il veut par son sermon
Tâcher de se donner dans le monde un renom 2
Qui lui fasse obtenir, pour prix de ses grimaces,
Ce qu'il convoite tant, les dignités, les places.
Croyez-vous que ce fabricant,
Qui de son nom remplit et les champs et la ville,
Use de son crédit et de tout son argent,
Seulement pour avoir le plaisir d'être utile ?
Il cherche à s'enrichir, voilà son vrai mobile.
Croyez-vous que ces furieux,
Clabaudant contre qui ne pense pas comme eux,
Soient mus pour leur pays d'un amour bien sincère ?
L'intérêt personnel est leur unique affaire.
Quelque couleur qu'il ait, chacun agit pour soi,
Et l'on voit peu de gens qui soient de bonne foi.
Mais halte-là ! je perds mon temps, je pense,
Quand je m'arrête à vous prêcher,
Et que je crois pouvair vous empêcher
D'être dupes de l'apparence.
De ce Colas, diront quelques censeurs,
On ne saurait approuver la franchise ;
C'est attaquer trop vivement nos mœurs.
De quelque façon qu'on la dise,
Toujours pour nous la vérité
Est d'une grande utilité,
Et ce qu'a dit Colas peut être profitable.
Car on conclut très-bien du sens de cette fable,
Qui si chez les humains on ne fait rien pour rien,
Il faut, pour qu'un État soit solide et durable,
Que dans ses intérêts chacun trouve le sien.