La Tourterelle et la Fauvette Jean-Pierre Claris de Florian (1755 - 1794)

Une fauvette, jeune et belle,
S’amusait à chanter tant que durait le jour ;
Sa voisine la tourterelle
Ne voulait, ne savait rien faire que l’amour.
Je plains bien votre erreur, dit-elle à la fauvette ;
Vous perdez vos plus beaux moments :
Il n’est qu’un seul plaisir, c’est d’avoir des amants,
Dites-moi, s’il vous plaît, quelle est la chansonnette
Qui peut valoir un doux baiser ?
Je me garderais bien d’oser
Les comparer, répondit la chanteuse :
Mais je ne suis pas malheureuse,
J’ai mis mon bonheur dans mes chants.
À ce discours, la tourterelle,
En se moquant s’éloigna d’elle.
Sans se revoir elles furent dix ans.
Après ce long espace un beau jour de printemps,
Dans la même forêt elles se rencontrèrent.
L’âge avait bien un peu dérangé leurs attraits ;
Longtemps elles se regardèrent
Avant que de pouvoir se remettre leurs traits.
Enfin la fauvette, polie,
S’avance la première : Eh ! bonjour, mon amie ;
Comment vous portez-vous ? Comment vont les amants ?
— Ah ! ne m’en parlez pas, ma chère :
J’ai tout perdu, plaisirs, amis, beaux ans ;
Tout a passé comme une ombre légère.
J’ai cru que le bonheur était d’aimer, de plaire…
Ô souvenir cruel ! ô regrets superflus !
J’aime encor, on ne m’aime plus.
J’ai moins perdu que vous, répondit la chanteuse ;
Cependant je suis vieille et je n’ai plus de voix ;
Mais j’aime la musique et suis encor heureuse
Lorsque le rossignol fait retentir ces bois.

La beauté, ce présent céleste,
Ne peut, sans les talents, échapper à l’ennui :
La beauté passe, un talent reste,
On en jouit même en autrui.

Livre V, fable 13




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