Le Taureau et le Matin John Gay (1685 - 1732)

D'un enfant favori voulez-vous faire un homme?
Ayez grand soin de savoir comme
Fut élevé son précepteur :
Afin de n'avoir pas mille déconvenues,
Sachez quels sont ses mœurs, et sa vie, et ses vues,
De votre enfant, enfin s'il peut former le cœur,
Car de cet examen dépendra son bonheur.

Une fois que, sous un règne paisible,
Un Taureau jouissait de l'air pur d'un vallon,
Un énorme Mâtin à l'allure terrible
Vint à passer. De son talon
Avec rage il faisait voltiger la poussière,
Et ses yeux furibonds s'éclairaient de colère.

Le Monarque se dresse et mugit fortement,
Il foule avec dédain la terre :
"Suspendons le combat, " dit-il, en ce moment.
"Va dormir pour ce soir dans ta peau toute entière,
Ou bien, dis-moi d'abord
Avant de commencer la danse,
Pour te battre avec moi, quelle fut mon offense ?
T'ai-je causé le moindre tort ?
L'ambition est- elle dans ton âme,
Ou l'avarice infâme ?
La colère des rois, fléau des nations,
Nait bien injustement de ces deux passions."

Le Mâtin grognard de répondre :
"Un tel discours a droit de me confondre.
De la gloire, en mon cœur, brûle l'ardent désir,
Me battre pour la gloire est mon plus grand plaisir,
J'ai soif d'être chanté par l'immortel poète ;
N'est-ce pas par le sang que la gloire s'achète ?
A mon esprit guerrier connais mon précepteur,
Un boucher m'inculqua ces préceptes d'honneur !

"Maudit Mâtin !" répondit le Monarque,
"Avec un boucher pour Plutarque
Je ne m'étonne plus de ton goût pour le sang ;
Accomplis donc ton sort ; et lui perçant le flanc
D'un seul coup de sa corne il l'enlève de terre,
Et dans les airs soudain pendille le héros ;
Il pousse un hurlement effrayant de colère,
Et puis comme une masse il retombe en lambeaux.

Livre I, fable 9




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