Le Savant et la Raison Joseph Barthélemy de Feraudy (1762 - 1831)

Un savant, nuit et jour se creusant le cerveau,
Voulait de l'univers connaître l'origine..
Contemplant en silence un spectacle si beau :
Quelle est donc, disait-il, la puissance divine
Dont la main a lancé ces globes radieux,
Magnifique ornement de la voûte des cieux,
Dans le vague des airs répandant leur lumière,
Avec ordre roulant dans leur vaste carrière ?
Le hasard forma-t-il tous ces mondes errans ?
Ont-ils toujours été ? doivent-ils disparaître ?
Pourraient-ils exister sans des motifs puissants ?
Pour les anéantir leur a-t-on donné l'être ?
Arrête !... Ton esprit dans un dédale affreux
Ne peut, dit la Raison, former de conjecture.
Tu voudrais deviner les lois de la nature ;
Un voile trop épais les dérobe à tes yeux.
Homme vain, voilà donc ce que peut ta science !
A peine connais-tu les plus grossiers rapports,
Dont dépend ici bas ta débile existence,
Et tu prétends du monde expliquer les ressorts !
C'est vouloir au grand jour mettre ton ignorance.
Sache au moins t'arrêter et respecter l'écueil
Contre lequel irait se briser ton orgueil.
Marchant à la lueur de ma faible lumière,
Ne va pas au-delà de ton entendement.
Tu peux en m'écoutant, dans ta pénible sphère,
Des instants de la vie user utilement.
Réprime tes défauts, sache aimer ton semblable ;
Tends-lui dans le malheur une main secourable ;
Du vice sois toujours un censeur rigoureux,
Limite tes besoins, et tu seras heureux.

La Raison parla bien ; on ne l'écoute guères ;
On aime beaucoup mieux se bercer de chimères.
Nouveaux Titans, nous attaquons les cieux,
Et notre orgueil, qui toujours nous cajole,
En voulant pénétrer dans les secrets des dieux,
Nous fait jouer, hélas ! un pitoyable rôle.

ÉPILOGUE

Ainsi, sur les bords de la Loire,
Ma muse ignorée et sans gloire,
Occupait mes loisirs de ce léger travail ;
Lorsque Louis, d'une main assurée,
Du vaisseau de l'État tenant le gouvernail,
Réparait les malheurs de la France éplorée,
Et faisait dans son sein luire des jours heureux,
Dont sa haute sagesse assurait la durée
Jusque chez nos derniers neveux.
Un jour l'impartiale histoire,
En proclamant ses bienfaits et ses lois,
Saura graver, au temple de mémoire,
Son nom parmi ceux des grands rois.
Mais où m'emporte mon audace !
Laissons aux enfants du Parnasse
Le soin de célébrer un si noble sujet.
Pour moi, n'ayant ni leur voix ni leur lyre,
Sans apprêt et sans art, me borner à te dire,
Utile vérité ! ce fut tout mon projet.
Puissé-je dans mon faible ouvrage
Avoir fidèlement exprimé ton langage !

Livre II, fable 82




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