Le superbe cheval d'un premier écuyer,
Couvert d'une housse éclatante,
Disait à celui d'un meunier :
Que ta condition me paraît affligeante !
Chaque jour, le sac sur le dos,
Ta vie est un tissu de peine ;
Tu n'as pas le moindre repos ;
Enfin tout n'est toi pour que gêne ;
Que tu dois être malheureux !
Tu plains à tort, dit l'autre, ma misère :
Apprends que, pour changer, je ne fais aucuns vœux.
Est-ce que je n'ai pas ce qui m'est nécessaire ?
Il est vrai que je vais tous les jours au moulin ;
Mais je parcours posément mon chemin.
On ne me voit point dans l'arène,
Ainsi que toi, courir à perdre haleine.
De tes harnois mes yeux ne sont pas éblouis :
Tu paies assez cher l'éclat dont tu jouis.
Mon métier, je le fais sans regret et sans honte,
Et sais si bien à quoi m'en tenir sur ton compte,
Que je pourrais, avec plus de raison,
Avoir pitié de ta condition.
Ce cheval répondit au rebours du vulgaire,
Qui, toujours dupe des dehors,
Ignore qu'un travail utile et salutaire
Qui nous fait sagement gagner notre salaire,
Pour l'homme fut toujours le premier des trésors.