Dans un grenier, deux araignées
Vivaient paisiblement, sans crainte et sans tracas :
C'était là qu'elles étaient nées,
Qu'elles avaient grandi ; que, depuis deux années,
Elles avaient pris dans leurs lacs
Six cents mouches infortunées.
Contre un vieux châssis vermoulu
Leurs deux toiles étaient voisines ;
Et comme, dans ce lieu, ni balais, ni houssines
Depuis deux ans n'avaient paru,
De leur existence ignorée
Rien n'y troublait la douce paix,
Si ce n'est quelquefois le souffle de Borée
Qui, pénétrant dans leurs filets,
En rompait quelque maille aisément réparée.
Du reste, repos, sûreté,
Compagnie agréable, amitié, confiance,
Et bonne chère en abondance :
Qui de semblables biens ne se fût contenté ?
Qui ? Vous peut-être la première ;
Oui, vous, lectrice, en vérité;
Vous, qui d'un pauvre insecte allez, d'un ton sévère,
Blâmer la curiosité.
Hélas ! c'est ainsi que nous sommes,
Tout prêts à condamner de simples animaux,
A les accuser de leurs maux,
Quand ils ne font pas pis que ce que font les hommes !
Vous saurez donc qu'un soir, en montant vers les cieux,
Un léger fils d'Éole, aux ailes émaillées,
S'avisa d'apporter des sons harmonieux
Qui firent ouvrir de grands yeux
Aux fileuses émerveillées.
Ces accords ravissants parvenaient du premier
Au grenier ;
C'étaient ceux que les doigts de la jeune Phoedore
Tiraient de sa harpe sonore.
« O ma sœur, quel enchantement !
Dit notre plus jeune araignée ;
N'en êtes-vous pas étonnée ?
Quelle voix ou quel instrument ·
Peut produire ce chant magique,
Ces accents si purs et si frais ?
Je n'y tiens pas ; allons écouter de plus près,
Car je suis folle de musique.
- Si ce plaisir vous est si doux,
Descendons, dit la sœur aînée ;
Mais n'avançons pas trop, et prenez garde à vous !
Au grenier, nous sommes chez nous ;
Ailleurs, on reçoit mal une pauvre araignée.
- Oh ! vraiment, je le sais fort bien ;
Mais j'ai bon pied, bon œil, et ne redoute rien. »
Tout en disant ces mots, le long de la muraille
Nos deux insectes descendaient ;
Et si parfois ils rencontraient
Quelque obstacle à leur marche, aussitôt une maille
De leur légère soie au plâtre s'attachait,
S'allongeait et les suspendait.
Ce fut ainsi qu'ils arrivèrent,
Et quelques instants s'arrêtèrent
Sur la fenêtre d'un salon
Brillant, illuminé, d'où provenait le son.
» Garde-toi bien d'entrer, » dit alors la première.
Mais l'autre ne l'écoutait pas,
Et déjà courait à grands pas
Vers la musique, la lumière,
Et vers sa propre perte, hélas !
on contente de se suspendre
A quelque draperie, ou corniche, ou feston,
Étourdie, oubliant qu'elle est dans un salon,
Elle avance, et pour mieux entendre,
Droit sur la harpe, sans façon,
Elle s'avise de descendre.
Phoedore pousse un cri, son accord s'interrompt,
Un bras s'étend, le fil se rompt ;
Notre imprudente audacieuse,
Au plafond vainement se voudrait élancer,
Tombe, et va se faire écraser
Sous une botte officieuse.

Témoin de son sort malheureux,
Sa triste sœur s'en fut raconter l'aventure
Aux autres habitans de sa demeure obscure.
Quel effet pensez-vous que produisit sur eux
Une leçon, hélas ! si dure ?
Elle ne guérit pas l'esprit des curieux ;
Et dès le lendemain, dans le salon critique,
Maint insecte alla s'exposer,
Pour entendre aussi la musique,
A se faire encore écraser.

Livre II, fable 9




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