Certain jeune canard présomptueux et sot,
(Deux qualités qu'il n'est pas rare
De trouver en un même lot),
S'en allait naviguant sur le bord d'une mare.
C'était au beau milieu d'un bois,
Et dans cet endroit solitaire,
Se rencontrèrent à la fois
Notre canard, un brochet son compère,
Un lièvre gravement assis sur son derrière,
Enfin un oiseau qui, je crois,
Était la bécasse légère.
Le canard voguant sur les eaux
S'admirait avec complaisance,
Et d'un air plein de suffisance
Il regardait poissons, quadrupèdes, oiseaux,
Comme des êtres nuls, sans aucune importance,
En un mot, comme ses vassaux.
« Vous êtes, leur dit-il, de chétifs animaux,
Bien mal lotis par la nature,
Et qui, loin de marcher ici-bas mes égaux,
Faites auprès de moi bien mesquine figure.
Il ne fallait pas moins que vos trois éléments
Pour me faire un digne apanage :
Je sais voler, je cours, je nage,
Et j'ai tous les divers talents
Dont chacun d'entre vous n'a qu'un seul en partage ;
Ainsi, sans compter mon plumage,
Ma voix et tous mes agréments,
Je puis conclure, ce me semble,
Que je vaux, à moi seul, mieux que vous trois ensemble. »
Tandis qu'il parlait sur ce ton,
Il n'est presque besoin de dire
Que bécasse, lièvre et poisson
Ne purent s'empêcher de rire.
Or, voilà que, planant tout au plus haut de l'air,
Apparaît, pour troubler leur joie,
Un énorme vautour dont l'œil perçant et fier
Mesure la distance et désigne sa proie.
Chacun alors, avec raison,
Oublia tout pour songer à la fuite :
« Sauvons-nous, dit le lièvre ; et sous un gros buisson,
En trois ou quatre sauts il eut trouvé son gîte.
Pour nous, détalons au plus vite, »
Dit la bécasse. « Et nous, plongeons, » dit le poisson.
Tous trois en un clin d'œil avaient fait leur retraite,
Que le canard à peine était hors de l'étang.
Notre présomptueuse bête
Voulut d'abord courir, et tomba sur le flanc ;
Ensuite elle se mit en tête
D'échapper, en volant, au redoutable oiseau ;
Mais elle n'y fut pas plus leste qu'à la course,
Et tomba lourdement dans l'eau.
Enfin, pour dernière ressource
Dans un aussi pressant danger,
Le malheureux canard essaya de plonger ;
Tentative encore inutile ;
Il se consume en vains efforts
Pour cacher tout au plus la moitié de son corps,
Cependant que d'un vol agile
Le vautour fond du haut des cieux,
Le saisit dans sa forte serre,
Et pour déjeuner, dans son aire,
L'emporte à ses petits joyeux.
On dit que, dans le cours de ce triste voyage,
Il fit la réflexion sage
Que je vais consigner ici :
« Savoir de tout en mince dose
Sert de peu, canard mon ami ;
Mieux vaut savoir bien une chose,
Que d'en savoir trois à demi. »