Deux laboureurs de mon village,
Léonard et puis Mathurin,
Pour acheter un attelage,
Se rendaient au marché voisin.
Comme ils approchaient des barrières,
Il n’était pas encor bien tard,
Et Léonard, l’un des compères,
Propose de manger une omelette au lard.
Ils entrent donc au cabaret
Et font servir leur omelette ;
Boivent vin blanc, puis vin clairet,
Et puis du vin manceix qui leur porte à la tête.
Ils bavardent à qui mieux mieux,
Sans souci de l’heure qui presse,
Et discutent l’écot réclamé par l’hôtesse ;
Enfin, Léonard paie et, non moins généreux,
(Il ne se mouche pas aux manches de sa veste)
Jusqu’au café du coin Mathurin le conduit.
On prend café, cognac, et tout ce qui s’ensuit,
Rincette et rinçonnet, surrincette et le reste;
Nos campagnards ne se refusent rien ;
En un mot, ils boivent si bien,
Qu’ils sont, comme on le dit, embarqués pour la gloire,
Quand il s’en vont au champ de foire.
Les voici regardant dans le plus grand détail,
Les yeux, les cornes, le poitrail,
Les jambes des taureaux, des bœufs et des génisses,
En critiquant les moindres vices :
— Cet attelage serait beau,
Dit Mathurin, s’il n’était pas si maigre ;
Les côtes sont autant de cercles de tonneau :
On l’a probablement abreuvé de vinaigre.
Mais le bouvier, perdant à ces mots patience,
Tombe sur nos amis à grands coups de bâton,
Et vous les frotte d’importance ;
Ils ont bientôt changé de ton,
Et s’en retournent au village,
Chacun jurant d’être plus sage.
Ils étaient tous deux peu contents
D’avair mal employé leur argent et leur temps.
Lecteur, apprenez, par ce conte,
Que dans les cabarets on dévore son bien ;
Que jamais l’on n’y gagne rien
Que le mépris, la misère et la honte.