Un serpent — je ne sais trop de quelle famille,
Mais un ambitieux ;
On sait qu’il en fourmille, —
Un serpent, dis-je, déjà vieux,
Voulut sortir enfin de son marais immonde
Et grimper sur les rocs où nichent les aiglons.
— Nous allons, se dit-il étonner tout le monde
Et montrer ce que nous valons.
En roulant ces pensers dans son esprit de bête,
Il atteignit l’arrête
Du rocher.
L’aigle, qui le vit approcher,
Craignit pour sa progéniture
Et se mit l’âme à la torture
Pour trouver le moyen d’éviter un malheur.
Avec les vaniteux il est bon de se taire
Ou de vanter bien haut leur menteuse valeur ;
L’aigle salua jusqu’à terre :
— Je ne puis revenir de mon étonnement,
Dit-il. Monter ici sans ailes, quel mystère !
Je voudrais voir le loup, le lion, la panthère
Gravir ainsi que vous cet âpre escarpement :
Ils en sont incapables ;
Ils se vantent, pourtant, de régner tous sur vous.
— Sur moi ? Vous voyez qu’ils sont fous
Autant qu’ils sont coupables.
— C’est vrai, répondit l’aigle avec un air soumis.
Tenez ! les voyez-vous, ajouta-t-il encore,
Ces lâches ennemis
Qu’autant que vous j’abhorre ?
Ils font, dans leur courroux,
Contre vous alliance,
Car de votre vaillance,
Ils sont jaloux.
Peut-être pourront-ils, après assez de peines,
Arriver jusqu’ici,
Mais pour monter plus haut leurs forces seraient vaines
Et leur courage, vain aussi.
— Et moi, fît le serpent avec inquiétude,
Que puis-je donc faire de plus ?
Pour m’élever encor, j’en ai la certitude,
Mes efforts seraient superflus
Puisque je suis enfin arrivé sur la cime.
— Je vous prêterai bien mes ailes, mon ami ;
Et le lion et la fourmi
Seront tout un pour vous, de la hauteur sublime
Où vous les verrez.
— Mais comment, moi serpent, me servir de vos ailes ?
Vous me le direz,
Car ce sont là pour moi des choses fort nouvelles.
— Je volerai pour vous, mon cher concitoyen ;
La chose est bien facile.
Tenez, soyez docile,
Je vais vous montrer le moyen.
L’aigle, à cette parole,
Prend le reptile et vole
Sur l’abîme profond.
— Vois donc, dit le serpent, toutes ces sottes bêtes
Qui, pour me regarder, lèvent au ciel leurs têtes :
Mon audace les confond.
— Pour être plus sincère
Et ne point te fourber,
Je crois, dit l’aigle ouvrant sa serre,
Qu’elles te regardent tomber.
L’ignare ambitieux, qui se croit un grand sire
Et qui veut tout soumettre à son absurde empire,
Finit assez souvent
Comme ce vieux serpent.