Le Sculpteur et la Madone Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Un sculpteur de renom quelque peu philosophe,
 Un homme d’une étoffe
 Avariée un peu,
Croyait, il est bien vrai, l’existence de Dieu,
 Mais disait, tout de même,
 Que cet Être suprême.
Nous trouve trop petits pour s’occuper de nous,
Et que, par conséquent, il est fort inutile
 Pour notre humanité futile
 De se mettre à genoux.

 Certaines gens croyaient à sa parole,
 Car, voyez-vous, la thèse la plus folle
Trouve des partisans, il faut en convenir,
 Pour la soutenir.

Notre sculpteur fouilla donc un bloc de Carrare
 D’une blancheur fort rare
 Avec son magique ciseau.
Il travailla longtemps. Sous les coups du marteau
L’on vit se dessiner une belle madone.
Son air était si pur, ses traits, si gracieux,
Qu’elle semblait avoir ce feu que l’âme donne
 Et qu’elle prend aux cieux.
Et l’artiste, ravi de son œuvre sublime,
Ne sortait qu’à regret de son humble atelier ;
Un sentiment d’amour étrange et légitime
À ce fruit de ses mains paraissait le lier.
 Il y rêvait avec ivresse ;
 Il en parlait toujours ;
 Il triomphait dans les concours,
Et puis sa renommée agrandissait sans cesse.

 Cependant, un matin,
Auprès de sa statue il en voit, ô merveille !
 Une autre tout à fait pareille,

 Ses yeux ont un éclat divin,
 Puis une larme,
Les voilant à demi, leur donne un plus doux charme.
 Un rayon tout mystérieux
 Autour de son front glorieux
 Décrit une auréole,
 Et jette doucement
 Dans l’humble appartement
 Une lumière chaste et molle.

 Le sculpteur s’arrête étonné :

 — Quel rival fortuné
Est venu m’écraser du poids de son génie ?
 Dit-il. Ô cruelle avanie !
Je briserai mon œuvre et ne tenterai plus
 Des efforts superflus !

 La madone nouvelle
 Eut un souris bien doux :

 — Ne soyez pas jaloux,
 Mon enfant, lui dit-elle,
 De l’œuvre du Seigneur.

 Aimez pour votre honneur,
 Gardez pour votre gloire,
 Vous pouvez bien m’en croire,
 L’ouvrage de vos mains ;
 Mais croyez-le, je vous l’atteste,
 L’artiste céleste
Qui m’a faite d’un souffle aime bien les humains.

Dieu ne peut faire aucune chose
Qui ne soit très-digne de lui ;
Il eut donc insensé celui-là qui suppose
Que Dieu dédaigne l’homme ou lui refuse appui.

Livre I, fable 19




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