Dans la nappe d’or d’un fleuve paisible,
À l’heure où s’en va le bac du pêcheur,
Un cygne mirait, fier de sa blancheur,
En se balançant, son galbe flexible ;
Puis autour de lui des cercles nouveaux,
Toujours s’éloignant sur les claires eaux,
Traçaient tour à tour comme une auréole.
Un poisson jaloux, prenant la parole,
Aux autres poissons dit en le voyant :
— Souffrirons-nous donc dans notre domaine
Ce fier étranger au col ondoyant ?
Son vol l’apporta que son vol l’emmène ;
Il est un oiseau, non pas un poisson.
— Qu’il s’en aille loin ! dit, à l’unisson,
Le chœur menaçant des poissons stupides,
Et tous contre lui s’élancent alors.
Le cygne ouvre, ému, ses ailes rapides
Et vole en chantant jusque sur les bords.
— De quel droit viens-tu ? dit un quadrupède,
Sortant irrité de l’ombre des bois —
Je ne souffre pas qu’on me dépossède ;
Va-t-en dans les airs.
Le cygne, aux abois,
Nagea dans l’air pur et dans la lumière,
Modulant encore un soupir divin.
Alors tout à coup, la tête première,
D’un nuage noir fondit l’aigle vain :
— Descends, lui dit-il, tu n’es pas des nôtres !
Sur le sol haï souvent tu te vautres
Comme l’animal qui ne vole pas ;
Comme un vil poisson tu nages, toi cygne,
Et tu prends dans l’eau tes joyeux ébats.
Descends, ou, vois-tu, j’appelle d’un signe,
Pour te foudroyer, mes sujets de l’air.
Le cygne s’enfuit au fond du ciel clair.
Depuis ce temps-là dans la solitude
Le suave oiseau se cache avec soin ;
Il soupire seul, plein d’inquiétude,
Et le moindre bruit le fait fuir au loin.
Parmi nous, hélas ! souvent le génie
A même destin que le cygne doux ;
Il sème, en passant, des flots d’harmonie ;
On le méconnaît, et de vils jaloux
Le poursuivent loin de leur sale bave.
Le génie errant, nulle part souffert,
Qui jette en son vol un hymne suave,
Le génie errant cherche le désert.