Le Renard et le vieux Loup Léon-Pamphile Le May (1837 - 1918)

Un renard, rancunier en diable,
Suivait depuis longtemps un loup,
 Se montrait serviable
 Et le vantait beaucoup :
Ce n’était là qu’une mesure
Pour se venger avec usure
S’il en avait l’occasion.

La cause de cette rancune, —
Pour ne pas faire de lacune

Je dois y faire allusion —
Venait d’une pomme superbe
Que le renard, dans un verger,
Avait trouvée au fond de l’herbe
Mais qu’il n’avait pas pu manger,
Vu que le loup son cher compère
L’avait croquée à belles dents.

Il faut que nous soyons prudents,
Surtout près d’un faux caractère ;
C’est ce que le renard comprit.
Il attendit plus d’une année.
Le loup devint boiteux, maigrit
Et n’eut plus qu’une peau tannée.

— Viens, lui proposa le renard,
On pourrait trouver, par hasard,
Quelque douceur pour ta vieillesse
Dans une ferme de là-bas.

— Merci bien de ta gentillesse ;
Oui je veux y traîner mes pas,
Car les pommes y sont fort bonnes,
Dit le loup, je m’en souviens bien.

— Mais si comme alors tu raisonnes,
Compère loup, je n’aurai rien.

— Ne crains pas de friponnerie :
J’ai faim, mais je mourrais plutôt
Que pécher par gloutonnerie.

Ils furent arrivés bientôt
En face d’une laiterie.

— Entrons avec effronterie,
 Dit le renard rusé,
Puisque la porte en est ouverte
 Ce n’est pas malaisé.

Le loup, s’efforçant d’être alerte
Et ne craignant que le fermier,
Voulut bien entrer le premier.
Il fit une heureuse trouvaille :
Un fromage fort savoureux.
Il voulut être généreux :

— Tiens, partage cette mangeaille,
Dit-il au renard vagabond.

Celui-ci, s’éloignant d’un bond,
Sortit et referma la porte :

— Merci, fit-il, esprit fécond,
Ce morceau-là moi je l’emporte,
Toi tu garderas le second ;
On ne peut tarder à le faire.
Voici les gens de la maison,
Bon soir ! Pour te tirer d’affaire
Cherche quelque bonne raison.

Retiens toujours cette maxime,
Ô toi qui veux être roué :
Souvent on devient la victime
De celui que l’on a joué.

Livre II, fable 4




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