La Taupe, le Moineau et le Chat Marc-Louis de Tardy (1769 - 1857)

Un vain désir de savoir
Tourmente bien des hommes;
Et l’on en voit, dans le siècle où nous sommes,
Qui savent tout, excepté leur devoir.
Ils ont à la nature arraché tous ses voiles;
Ils ont sondé les mers et compté les étoiles;
Et même ils ont, du ciel mesurant la hauteur,
Exploré l'univers sans y voir son auteur.
Laissons li ces habiles;
Aussi bien nos discours leur seraient inutiles.
Sans nous fourvoyer après eux,
Montrons, par une fable aussi juste que claire,
Ce qua de sot, de dangereux,
La curiosité, même chez le vulgaire.
Dans un jardin, lasse de le fouir,
Une taupe quitta sa voute souterraine ;
Mais au soleil, loin de se réjouir,
En ces termes tout haut elle exhalait sa peine :
« Hélas! que j'ai de fatigue et d’ennui !
Que mon destin est triste !
Laissons le jardinier qui me suit à la piste ;
Je saurai bien me garantir de lui.
Mais c'est une chose trop dure
De vivre dans l’exil au sein de la nature,
Et @habiter des lieux où, ne pouvant rien voir,
A défaut observer on ne peut rien savoir.
Heureux oiseaux qui, portés sur des ailes,
Voyez quand vous voulez des régions nouvelles ;
Auprès du mien que votre sort est doux !
Que je voudrais voyager comme vous! »
Des moineaux écoutaient la pauvre bestiole ;
Au nom de tous, l'un d’eux prit la parole,
Et sans lui faire un long discours,
Il lui promit de lui faire connaitre
La ville au moins et ses faubourgs,
Même les habitants qui viendraient a paraitre.
Jamais plus belle occasion:
Le ciel la faisait naitre,
Car on sonnait une procession.
La taupe d’accepter la proposition ;
Et, comme les canards portèrent la tortue,
Quatre moineaux dans la plus belle rue,
A aide d'un bâton, l’élèvent sur un toit,
Ou pour bien voir était le bon endroit.
« Voyez, dit un moineau, voyez monsieur le maire ;
Certes, il a plus dune affaire ;
Et l’on voit bien qu’il ne peut pas.
Comme il voudrait, mettre son monde au pas.
De la cité, favorisés chanoines,
Messieurs les conseillers, plus heureux que des moines,
N’ont aucun soin qui trouble leur sommeil ;
Et c'est pour s’égayer qu’ils s’en vont au conseil,
Quand bon leur semble.
Par miracle aujourd’hui, voyez-les tous ensemble
Suivre le dais, et de leur air mondain
Scandaliser tant soit peu le prochain.
Ce monsieur, grand et sec, est homme d’importance;
C’est, ma commère, un chef de la finance ;
C'est lui qui de la ville est le vrai matador;
Chacun lui fait la révérence
Et le flaire à envi, car il est cousu d’or.
Et ce sapeur avec sa hache,
Dans l’attitude d'un héros,
De la foule il contient les flots ;
Et le peuple, qui rit de sa fausse moustache
Et de sa tète d’ours, l’appelle Juif errant.
Le voyez—vous? — Hélas! dit la taupe en pleurant
Je ne vois rien, si ce n’est ma sottise ;
Béni qui me reporte aux lieux où l’on m’a prise.
Chacun a sa nature, il en subit la loi ;
Quand on est taupe, il faut rester chez soi. »
A peine elle achevait, que sur une gouttière
Parut un chat; et la volée entière
De messieurs les moineaux de fuir sans dire adieu.

Le chat, qui vit la taupe en si haut lieu,
Pour devenir son aventure
Ne se mit point à la tortue ;
Mais jouant de la patte, il rit, puis l'étrangla,
Sans demander comment elle se trouvait là.

Fables, 1847, Fable 22




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