Le Léopard et l'Ours Marc-Louis de Tardy (1769 - 1857)

Les animaux en révolution
Avaient chassé leur roi lion.
Du léopard la robe bigarrée,
De trois couleurs richement chamarrée,
Avait je ne sais quoi qui les magnétisait.
Elle dut plaire à tous, puisqu’elle leur plaisait.
On fut aux voix tout de bon et sans rire ;
Le léopard du nom de sire
Fut salué par ses amis ;
Et quoique lourd, le sceptre en sa patte fut mis.
L’élection bâclée, un ours, ancien ministre
Du lion dépossédé,
A la barre fut mandé.
Un renard l’accusait de maint projet sinistre,
Et soutenait qu’il fallait l’assommer.
Un lévrier prouva son innocence ;
Mais avant tout il eût fallu calmer
L’ire du peuple et son effervescence.
Les juges, qui marchaient sur des charbons ardents,
Justes au fond du cœur, ne furent que prudents.
L’arrêt porta que : « Vu la loi des Gracques,
Le code américain et celui de Jean-Jacques,
L’ours était convaincu.
Par le peuple attaqué, d’avoir été vaincu. »
El la cour souveraine.
Qui jugeait en premier comme en dernier ressort,
Le condamna pour sa peine,
A rester tout un siècle enfermé dans un fort.
Le léopard vit bien que l’ours n’avait pas tort ;
Mais que pouvait-il faire ?
Contre une émeute était-il le plus fort ?
Il se tut donc, car il savait se taire.
Mais quand on eut calmé le menu populaire,
Il se fit amener le pauvre ours et lui dit :
« Du lion ministre fidèle,
Tu défendis ses droits avec beaucoup de zèle,
Sinon avec beaucoup d’esprit.
La révolution à mon profit s’est faite ;
Mais de la royauté je dois payer la dette.
J’ai droit de faire grâce et voilà mon rescrit ;
Prends-le, sois libre et vaque à tes affaires.
Envers les gens de bien les rois sont solidaires. »
Dans le palais des rois, inscrite en lettres d’or,
Cette maxime-là leur vaudrait un trésor.

Fables, 1847, Fable 23




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