Dans une basse-cour qu’un fort petit canal,
A l’un des bouts, fermait tant bien que mal,
Un cygne habitait dès l’enfance.
La vanité d’un gros bourgeois
L’avait placé dans ce lieu de plaisance.
Son hôte espérait bien entendre un jour sa voix ;
Il n’épargnait pour lui les soins ni la mangeaille,
Et l’appelait le roi de la volaille.
Le dédaigneux monarque, entouré de canards,
De dindons, de poulets et d’oisons nasillards,
Grave et superbe en son port magnifique,
Ne disait mot, était mélancolique.
Jusqu’à l’interroger un oison s’enhardit,
Et lui dit :
« Si vos airs sont si beaux qu’on veut le faire croire,
Que ne chantez-vous donc ? » — « C’est que j’aime la gloire,
Lui répliqua le cygne ; et j’ai honte, ma foi,
D’avoir pour auditeurs des chanteurs tels que toi. »
Le cygne eut tort : sans composer lui-même,
Le peuple est des beaux chants l’estimateur suprême.
Au sommet du Parnasse et sur un trône assis,
Couronné par ses mains, règne le vieil Homère ;
Virgile, un peu plus bas, chante Enée et son fils ;
Le Tasse des Croisés dit la marche guerrière ;
Et Milton, s’élevant jusques au Saint des saints,
Raconte le malheur du père des humains,
Lorsqu’au prix de son innocence,
Du mal comme du bien il acquit la science.
Arouet vient après ; trop faible en son essor,
Il dit du Béarnais le droit et la vaillance.
La France l’applaudit, mais voudrait mieux encor.
Apollon lui doit un poète
Qui sache comme Homère emboucher la trompette ;
Un poète sublime, un vrai présent des cieux,
Qui donnent rarement de semblables étrennes.
Oh ! si l’on peut à des marques certaines
Reconnaître au berceau ce favori des cieux,
Qu’il soit nourri dans le giron des reines !

Fables, 1847, Fable 10




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