La Vache et le Loup Marie-Amable Petiteau (1736 - 1816)

Une vache, sur son retour,
Se plaignait du mauvais pacage
Où des maîtres ingrats la mettaient chaque jour.
Un loup la voit, l’entend, et, contre son usage,
Il prend pitié de son malheur :
Je suis vraiment, dit-il, touché de ta maigreur ;
Viens dans nos bois , auprès de nos tanières ;
L’herbe fine y croît à plaisir.
Tu pourras dans ces lieux paître tout à loisir ;
Car ils sont défendus par moi, par mes confrères.
Oh ! dans peu tu rengraisseras ;
Qui plus est, tu rajeuniras
Dans un aussi bon pâturage ;
Et je veux que toujours on t’en laisse jouir :
Au conseil que demain nos loups doivent tenir,
J’ouvrirai cet avis ; et je passe pour sage.
La vache répliqua : Je crois de bonne foi
Que votre discours est sincère ;
D’ailleurs, en supposant quelque danger pour moi,
Lorsque j’aurais repris l’embonpoint nécessaire ,
Je crains trop peu la mort pour en sentir l’effroi ;
A l’âge où me voilà, terminer ma carrière
Ne ferait, dans le fond, qu’abréger ma misère.
Mais que j’aille vivre avec vous !
Moi, finir mes jours chez des loups !
M’en préservent les dieux ! je verrais à toute heure
Brebis, agneaux, se débattre et périr,
Si j’habitais près de votre demeure ;
Et je ne pourrais qu’en gémir.
Ce n’est pas tout, car vous feriez bombance
Des pauvres innocents que j’aurais vu mourir.
Et j’entendrais vanter votre affreuse abondance.
— Que t’importe que nous mangions
Des racines ou des moutons ?
Tu nous laisseras vivre à notre fantaisie ;
Conserve ta philosophie,
Sans critiquer notre régal ;
Pourvu qu’on épargne ta vie,
Tout le reste doit t’être égal.
Non, dit- elle, jamais je ne serai des vôtres ;
J’aime mieux mon chétif repas :
Mal évité pour soi ne suffit pas,
Il faut encor n’en pas voir faire aux autres.





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