Le Voyageur et l'Ourse Nicolas Grozelier (1692 - 1778)

Les abeilles, pour l'ordinaire,
Aiment à se loger dans un lieu solitaire,
Et déposent leur miel dans les trous d’un rocher,
Ou se plaisent à le cacher
Dans le creux d'un arbre, ou sous terre.
Un Voyageur, pour ne l’avoir pas su,
Ou pour n’avoir pas aperçu
Une fosse de miel remplie,
Y courut risque de la vie.
Pour son malheur il y tomba,
Et tout d’un coup il enfonça.
Il y serait péri, sans une conjoncture
Heureuse, unique en pareil cas,
Avec ses deux petits, qui fuyaient pas à pas.
Une Ourse fort d'un bois, passant par aventure,
Ou venant pour faire pâture ;
(Le miel, dit mon Auteur, a pour eux des appâts.)
Notre homme possédant son âme toute entière,
Saisit l'Ourse, la prend par les pieds de derrière
L’embrasse fortement et ne la quitte pas.
L'Animal effrayé, croit être pris au piège
Qu'avait tendu quelque Chasseur ;
Et craignant que bientôt la meute ne l'assiège,
Fait un bond et dégage ainsi le Voyageur.

Quand l'occasion se présente,
Pour nous retirer d'un danger,
La saisir et se dégager,
Est le trait d'une âme prudente.
Le moment échappé ne se retrouve plus :
Tous les regrets alors deviennent superflus.

Livre I, fable 10


Titre original : Le Voyageur tombé dans une fosse de miel, et retiré par une Ourse.

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