Le Loup et le Mâtin Nivet Desbrières (18ème siècle)

Un Loup fort maigre et décharné,
Car il avait longtemps jeûné,
S'en vint près d'une métairie,
Où, dans une grande écurie
Reposait un Mâtin
Après un bon festin,
L'apercevant au travers d'une grille
Ami, lui dit l'hôte des bois,
Tu me parois là bien tranquille ;
Dès aujourd'hui s'il était à mon choix
D'avoir un pareil domicile,
- J'aimerais bien vivre aussi fous les toits,
Comme j'y vécus autrefois.
C'est une chose très facile,
Répond le Dogue en s'éveillant,
Entre au service de mon maître.
Pourvu que tu sois vigilant, -
Rien ne te manquera dans ce séjour champêtre ;
De ces moutons qu'on y fait paître,
Comme moi, chaque jour, tu croqueras les os,
Après un bon dîner tu prendras ton repos.
Quel bon destin ici m'envoie !
Que je me plais à t'écouter !
Interrompit le Loup dans un transport de joie ;
Afin de mieux me raconter
Les douceurs que je vais goûter,
De grâce, mon cher camarade,
Faisons un tour de promenade ;
A cette heure, repart le Chien un peu honteux,
Je ne saurais sortir à cause de ma chaîne ;
Ta chaîne, répliqua l'animal orgueilleux,
Quoi! dans cette maison tu te crois fort heureux,
Tandis qu'on te tient à la gêne !
Fusses-tu cent fois mieux traité ,
Vas, vas, ton sort ne me fait point envie ,
Les meilleurs mets, la plus tranquille vie,
Ne valent pas la liberté ;
Que les Mâtins chérissent leurs entraves,
Jamais les Loups ne seront des esclaves.
A ces mots il s'enfuit d'un pas précipité,
Pour recommencer ses ravages.

En secouant le joug de toute autorité,
Peuples, vous vous croyez fort sages ;
Mais fans loi, fans humanité,
Vous n'êtes plus que des Sauvages ;
Le Chien, soumis, officieux,
Goûte la paix et l'abondance ;
Le Loup, hautain, malicieux,
Vit dans le trouble et l'indigence.

Fables nouvelles, fable 18


A mettre en perspective avec Le Loup et le Chien de La Fontaine.

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