Le Bateau à vapeur et la Chaloupe Gabriel-T. Sabatier (19ème)

Un grand bateau marchant par la vapeur
Fendait les eaux d’un lac limpide,
Et, de sa marche si rapide,
S’émerveillait un voyageur,
Qui s’écriait joyeux : « Comme on voit fuir la rive !
Chaque instant nous fait voir nouvelle perspective,
Nous allons plus vite sur l’eau
Que dans l’air ne vole l’oiseau ! »
Il voit alors des gens voyageant en chaloupe
Joyeux d’avoir le vent en poupe,
Et leur dit : « Ah ! vraiment j’ai bien pitié de vous !
Car nous vous laisserons bien loin derrière nous ;
Soyez sûrs, mes amis, que la voile latine
Vous conduira bien tard à destination. »
Comme il disait ces mots, ô désolation.
Le navire à vapeur éclate !
Le pauvre voyageur va droit au fond de l’eau ;
Vite, do la chaloupe, on lui tend une latte.
Déjà le naufragé se croyait au tombeau ;
Mais on put le hisser sur l’infime bateau
Qu’il avait méprisé naguère.
C’est ainsi qu’à grand peine on le tira d’affaire.
Sans le bateau, méprisé tant,
Notre homme eut été peu content !

De nos jours, avant tout, il faut aller très vite ;
Ceux qui vont lentement passent pour avoir tort.
La foule, vers le but, court et se précipite ;
A peine est-on parti qu’on veut entrer au port.
Tel, en trop se hâtant, est cause de sa mort.
Ne nous moquons donc pas de celui qui chemine
Tranquillement à petits pas
Dans un bien humble char vers la ville voisine,
Car il fait son trajet sans le moindre embarras ;
Tandis que mainte fois la rapide berline,
Dans quelque affreux ravin se brise avec fracas !

Livre II, Fable 13, 1856




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