Un jeune Enfant dans un bateau
Pour la première fois descendait la rivière,
Rapidement porté sur le courant de l’eau :
« Ah ! criait-il à son père,
Le tirant par l’habit, le château qui s’en va !
Cette maison qui marche ! Eh ! je vois fuir l’église !
Ah! monsieur le Curé, quoi ! vous demeurez là !
Courez donc ! » Le Curé sourit de la méprise ;
Mais, pour l’honneur de la prêtrise,
Il se croit obligé d’expliquer à l’Enfant
L’effet qui le surprend.
Il cherche en son cerveau ses cahiers de physique,
Parle toujours en attendant,
Et brouille tant qu’il peut les règles de l’optique.
Par bonheur, un Vieillard, le doyen du canton,
Ennuyé d’écouter, plus encor de se taire,
Soulève un peu son dos, et, frappant du bâton,
Branlant cinq à six fois sa tête octogénaire,
Montre qu’il va parler, montre enfin tout de bon.
« Quoi ! vous riez, dit-il aux gens de son village,
Quand ce marmot croit voir remonter le rivage ?
Examinons un peu. Sommes-nous moins nigauds ?
Tenez , lorsqu’oubliant nos pénibles travaux,
Nous chômons le dimanche, ou bien les bonnes fêtes,
Qu’une pointe de vin a réjoui nos têtes,
Chacun rit, fait un conte, on dit quelques chansons.
Dans ces instants trop courts où le plaisir entraîne,
Sommes-nous pas l’enfant emporté par la Seine ?
Si l’heure sonne alors, nous nous disons :
Ah ! comme le temps passe ! et c’est nous qui passons. »