Le mat de Cocagne Pierre Chevallier (1794 - 1892)

Un lion désirant à son avènement
Procurer à son peuple un peu d'amusement,
Ordonna d'ébranclier au haut d'une montagne
Un palmier dont on fit un grand mat de cocagne.
À la dernière branche on suspendit les prix
Composés de différents fruits
Que je n'ai plus en la mémoire.
— Grimper après ce mât, ce serait obtenir,
Objecta du foi le vizir,
Trop facilement la victoire.
Je proposerai donc, pour y remédier,
D'attacher à l'entour, d'y fortement lier
Un paquet de cactus de l'épineuse espèce.
L'approuvant en tous points, Sa Majesté s'empresse
De faire exécuter de son vizir l'avis.
Sur la liste bientôt les jouteurs sont inscrits ;
L'ours monte le premier, veut braver les épines
Et bien vite descend, les pattes, les narines,
Et le museau couverts de sang.
Le voyant ainsi fait, le roi se met à rire,
Et sans plus de pitié la Cour d'en faire autant.
Après le tour de notre pauvre sire,
Vient celui de maître Bertrand.
C'était un grand magot à la taille élancée,
Renommé saltimbanque, émérite sauteur,
Qui, dans le fond de sa pensée,
Se voit déjà l'heureux vainqueur.
Ainsi qu'un chat, il grimpe par saccade,
Parvient au redouté paquet,
Veut le franchir d'une gambade,
Mais une épine, accrochant son jarret,
L'oblige à se courber dans un sens rétrograde
Et le fait tout-à-coup jusqu'en, bas culbuter.
On voit alors se présenter
D'un air gracieux et modeste,
Dans ses allures prompt et leste,
Un gentil petit écureuil,
Qui. par des sauts, en un clin.d'oeil
A l'obstacle épineux arrive.
Il détourne avec soin les branches, les esquive,
Et s'emparant du prix aux applaudissements
De la Cour et des assistants,
Les salue et les remercie.

Sur l'épineux chemin de notre triste vie
Que d'obstacles à redouter !
Toujours l'audacieux cherche à les surmonter,
Contr'eux souvent en vain il s'acharne, il s'irrite.
Gomme mon écureuil, le sage les évite.

Livre IV, fable 9




Commentaires